Publié le 14/08/2015 à 15:00 | Le Point.fr
On peut dire des réformes ce que le duc de Saint-Simon disait des mariages : il en est de bons, il n'en est point de délicieux. Mais il en est de catastrophiques. La réforme du collège, version Vallaud-Belkacem, est non seulement un désastre – les élèves, bons ou mauvais, sortiront tous de là plus abîmés –, mais c'est une grossière injustice.
Démonstration.
Heureux les heureux !
Prenez l'apprentissage des langues. Les sections bilangues, qui paraît-il puaient le favoritisme de classe, sont donc supprimées – sauf dans les collèges et lycées internationaux que fréquentent prioritairement, nul n'en doute, les élèves les plus défavorisés.
Que sont ces sections internationales — que je recommande chaudement, mais qui devraient être la règle au lieu d'être des exceptions onéreuses ? Elles ne sont accessibles qu'après avoir passé des tests linguistiques, oral et écrit, assez pointus : seuls les réussissent celles et ceux dont les parents se sont souciés, depuis leur prime enfance, de les envoyer en vacances dans le pays requis. Tout le monde, bien sûr. Les élèves arrivant de l'étranger ou d'une école privée hors contrat doivent en sus passer un test de français et de maths. Coucou, le revoilà, le bon vieil examen d'entrée en sixième !
Qui demande ces sections réellement élitistes ? Tous ceux qui tentent d'échapper au collège de secteur. Et les parents sont prêts à payer – parce que ce n'est pas gratuit, y compris dans l'enseignement public : « Les montants, écrit Sophie de Tarlé dans l'Étudiant , ne sont pas identiques en fonction des langues étudiées et, même dans les établissements publics, les sections internationales peuvent être payantes. Au lycée international de Valbonne, la section allemande est facturée 960 euros par an, mais il faut débourser environ 2 000 euros par an pour la section anglophone.
Au lycée de Sèvres, les sections allemandes et anglophones coûtent aux parents 2 000 euros par an. En fait, tout dépend des accords d'échanges de professeurs entre les deux pays. Dans les écoles privées, la facture est plus élevée. Comptez 4 785 euros par an à l'école active bilingue Jeannine-Manuel à Paris. Des tarifs qui ne découragent nullement certains parents. Cette année, cette école parisienne très cotée a reçu 1 849 demandes pour 358 places. » Sûr qu'un élève parisien qui paie ce tarif fait partie de ces classes défavorisées que prétend aider le ministre. Tartuffes !
N'apprenons pas le français
De 6 heures de français en sixième en 1972, on est progressivement passé à 5, mais on a inventé aide personnalisée et accompagnement éducatif pour encadrer les élèves réellement en difficulté (en clair, ceux qui à la maison ne parlent pas une langue châtiée, et il y en a !). La réforme nous fait passer à 4 h 30, dont vous voudrez bien déduire une heure d'aide personnalisée, puisque si le concept existe toujours, ses heures sont désormais à déduire de l'horaire global, alors que jusque-là on les ajoutait.
Le véritable accompagnement personnalisé est désormais défunt. C'était trop élitiste de s'occuper de quelques élèves qui en avaient besoin : les moyens sont désormais répartis parmi tous les élèves, de l'aveu même du ministère. Personnalisé, mon cul, dirait Zazie. C'est d'ailleurs ce que pensent les spécialistes, même s'ils ne le disent pas comme ça. Voir ici et là.
Sans compter que ce nouvel accompagnement ne concernera que les élèves en établissements difficiles (dont la liste s'est récemment réduite notablement). Les autres (85 % des collèges), ceux qui sont sur la limite de l'analphabétisme, peuvent toujours se brosser. Comme dit de façon imagée un commentateur critique du site Néoprofs, « imaginez que les allocations chômage ou certaines indemnités soient soumises à des critères purement géographiques… Ce serait curieux comme pratique non ? C'est ce qui se passe pour les collégiens ! »
Une seconde langue dès la cinquième ? Une aberration
Bruno Le Maire a été l'un des premiers à souligner qu'apprendre dès la cinquième une seconde langue (sans ajouter une heure, bien entendu : les heures on les prend en aval – on fera moins d'anglais en quatrième et en troisième pour faire de l'espagnol en cinquième) était aberrant : on n'apprend bien une langue étrangère que lorsqu'on maîtrise la sienne. Et tous les enseignants – tous ! – évaluent à 20 % minimum le nombre d'élèves qui, à l'entrée en sixième, ont d'immenses problèmes de lecture et d'écriture – sans parler de l'orthographe, passée aux profits et pertes. On n'apprendra pas l'espagnol (ou le chinois) : on ânonnera le français, on balbutiera l'anglais, on aura même du mal avec le gloubi-boulga.
Toujours moins de savoirs
Le seul objectif de cette réforme est de supprimer des heures d'enseignement. C'est particulièrement vrai en troisième, où l'on passe de 28 heures de cours (en moyenne) à 22 – auxquelles s'ajoutent 4 heures d'« enseignements pratiques interdisciplinaires » – où comment dissimuler la poussière sous les tapis.
L'interdisciplinarité, tous les enseignants la pratiquent. Au jour le jour. Au gré de l'actualité de ses cours. On ne fait pas « du français » : on met en relation la langue, un écrivain, un contexte historique, voire géographique, on compare avec telle ou telle langue étrangère, on évoque les arts plastiques ou la musique : la vraie interdisciplinarité, c'est, à chaque instant, le chatoiement de la culture.
Game over. Dorénavant il y aura des heures spécifiques où deux enseignants se regarderont en chiens de faïence et parleront à qui fera taire l'autre. Quant à ce qu'en retireront les élèves… Le plus clair, c'est que ces heures pour rien seront prises quelque part – dans les horaires disciplinaires. Mais si l'on ne maîtrise pas encore les disciplines, qui peut croire que l'on maîtrisera leur combinatoire ? Peu importe. Pour ne pas « ennuyer » les élèves par une transmission verticale des savoirs disciplinaires (l'horreur pédagogique, disent les apprentis sorciers), on les enverra regarder les mouches au plafond au nom de l'interdisciplinarité.
Ces fantaisies pédagogiques anéantissent dans les faits l'affirmation mensongère du ministère, selon qui « la réforme maintient l'ensemble des horaires disciplinaires et prévoit des temps d'accompagnement personnalisé pour s'assurer que chaque élève maîtrise les savoirs fondamentaux ». Les élèves perdent des heures, en sus de perdre leur temps.
Et le latin ?
L'enseignement du latin et du grec pouvait passer pour du luxe, mais le luxe est ce qui permet justement d'attirer l'élève à la culture. Ce que signifie cette réforme, c'est à la fois une haine globale de la culture, comme si l'on voulait vendre la France après l'avoir dépecée, et un repliement sur les castes au pouvoir, qui se protègent en assommant définitivement les classes laborieuses, toujours trop dangereuses. Non seulement l'ascenseur social, ce vieux mythe, est relégué au magasin des accessoires, mais on casse l'escalier. Les aristocrates se sont pareillement crispés en 1788 – ça ne les a pas menés très haut ni très loin.
Merci à « Mutis » qui m'a donné le prétexte de cette chronique.
Jean-Paul Brighelli