Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Tout ce que l’on sait de M. Cédric Herrou incite à penser que cet homme est, pour reprendre une expression entrée depuis quelque temps dans l’usage, une « belle personne ». Autrement dit, quelqu’un de bien. Un homme de bien, comme on disait autrefois, et comme on ne dit plus. Et pourquoi pas un juste, voire un héros ? Le terme a été employé dans la presse. Il revenait en boucle au sein de la petite foule sentimentale -quelques centaines de personnes – qui était venue l’autre jour soutenir et applaudir cet agriculteur de trente-sept ans, demeurant à Breil-sur Roya, petit village des Alpes-Maritimes situé à deux pas de la frontière italienne, alors qu’il gravissait les marches du Palais de justice de Nice.
Pourquoi le Palais de justice ? Parce que Cédric Herrou y était cité à comparaître devant le tribunal correctionnel pour y répondre du chef d’avoir « facilité, l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’étrangers en France ». Un délit prévu et réprimé par le Code, mais que le prévenu et ses thuriféraires, loin de le nier, revendiquent comme une action d’éclat.
La vallée de la Roya est depuis toujours un point de passage fréquenté par tous ceux qui, à diverses époques, persécutés, délinquants, illégaux ou migrants, huguenots, antifascistes, juifs ou tout simplement contrebandiers, cherchent à passer discrètement de France en Italie ou vice versa. Cédric Herrou perpétue une longue tradition d’aide et d’assistance locales. Depuis des mois il patrouille dans la région pour prendre à bord de sa voiture et recueillir, nourrir, héberger, acheminer à l’intérieur de notre territoire des dizaines de candidats à l’immigration, notamment érythréens.
Un passeur ? D’un genre particulier. Les motivations de M. Herrou ne sont pas financières, mais altruistes. Militant politique et associatif, M. Herrou s’est ému des difficultés, des souffrances, de la détresse de ces hommes et de ces femmes. Et c’est pourquoi il a considéré qu’il était de son devoir de les secourir, au mépris de la loi, mais au nom de l’humanité. Et de se référer à ces justes, moins nombreux qu’on l’aurait souhaité mais plus nombreux qu’on pouvait le craindre, qui ont abrité pendant quatre années parmi les plus noires de notre histoire des enfants juifs ou à ces résistants qui ont pris les armes contre l’occupant. Les uns comme les autres au péril de leur vie.
Rien ne nous permet de refuser la présomption d’héroïsme à M. Herrou et donc de douter qu’en de semblables circonstances il se fût également engagé mais on observera que la situation n’est pas exactement la même et que, dans un contexte barbare où l’Etat de droit n’existait plus, où la patrie était enchaînée, où la civilisation même était menacée de mort l’illégalité était la seule issue qui restait à la dignité et à la liberté humaines. Il n’en est pas de même aujourd’hui. Or, de Socrate à Montaigne, à Montesquieu, à Condorcet ou au philosophe Alain, les plus grands sages, les humanistes les plus indiscutables ont toujours professé que, dès lors qu’un régime n’est pas tyrannique, chacun est dans l’obligation d’obéir à la loi, non parce qu’elle est juste ou satisfaisante mais parce que c’est la loi.
C’est à l’Etat et à ses services de police et de justice qu’il revient normalement de faire régner l’ordre, respecter la loi, donc de faire le tri entre les divers candidats à l’entrée en France et de distinguer entre ceux qui ont droit à l’asile, ceux dont la situation mérite examen, et les indésirables. Simple particulier, M. Herrou n’a aucune légitimité à se substituer dans ce rôle à la puissance publique et à s’arroger un droit qui ne saurait lui appartenir. M. Herrou estime ne devoir prendre en compte que les ordres que lui dicte sa conscience. L’Etat, quant à lui, est responsable envers la collectivité dont il est l’incarnation administrative. La morale dont se prévaut M. Herrou est le paravent de l’incivisme et de l’irresponsabilité. M. Herrou rêve d’un monde sans frontière où, à défaut, voit dans la frontière une simple passoire à travers les gros trous de laquelle pourrait s’écouler sans restriction et sans formalité aucune le flot indiscriminé des migrants politiques, des migrants économiques et des migrants terroristes. L’humanité a bon dos en l’occurrence et si d’exceptionnel un tel comportement devenait la règle, on chercherait bientôt les traces de la France là où elle a été.
Au demeurant, il y a trop souvent une part de comédie dans certaines gesticulations théâtrales, dans certaines postures héroïques. Lorsqu’Antigone, bravant les ordres de Créon, décide d’assurer une sépulture décente à son frère, elle sait qu’elle paiera de sa vie sa désobéissance. Lorsqu’on défie la loi chez nous, en ce début du XXIe siècle, que ce soit à Notre-Dame des landes, à Sirvens, dans la vallée de la Roya, ou ailleurs, on table de plus en plus souvent sur l’impunité ou l’indulgence de la société, et l’on n’a pas tort. L’illégalité est parfois le plus court chemin vers la députation et le sort fait il y a déjà des années à M. Bové n’est pas celui qui fut réservé à Antigone. Pas plus tard qu’avant-hier, également à Nice, un émule de M. Herrou, Pierre-André Mannoni, qui avait convoyé trois jeunes femmes érythréennes de Vintimille à Nice était relaxé au motif qu’il avait « préservé leur dignité ». M. Herrou, quant à lui, encourt cinq ans de prison et trente mille euros d’amende. Du moins théoriquement, car le procureur s’est borné à demander huit mois avec sursis, et la confiscation de sa voiture. On a connu réquisitoire plus sévère. Le jugement mis en délibéré au 10 février, il est à présumer qu’il n’ira pas au-delà des conclusions du ministère public. Et pourtant, dans un Etat de droit, même une « belle personne », si elle commet un délit, est justiciable de sanctions.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France