Deux à trois mille, selon l’évaluation des journalistes présents hier après-midi au Paris Event Center, une salle qui, contrairement à ce que son nom suggère, n’est pas située à Las Vegas (Nevada) mais tout simplement porte de la Villette. Deux à trois mille sympathisants, adhérents, militants, cadres et personnalités du P.S., réunis à l’appel de la Belle Alliance populaire, formation qui, contrairement à ce que son nom indique, n’est ni belle ni une alliance ni populaire mais une simple façade, trompe l’œil et faux nez du Parti socialiste. Deux à trois mille militants socialistes, donc, orphelins réduits à se chercher dans l’urgence un père de substitution,au lendemain de l’abdication de leur Pépère naturel. Ce père, qui referait l’unité de leur famille divisée, ils ne l’ont pas encore trouvé, en l’absence significative d’Arnaud Montebourg, de Benoît Hamon, et de Manuel Valls, candidats déjà déclarés ou encore putatifs à la charge suprême brutalement tombée en déshérence. Ont-ils puisédu réconfort dans le grand numéro d’autosatisfaction de Mme Najat Vallaud-Belkacem, fière du bilan de son gouvernement et de ses propres résultats ? Au moins, avant de se séparer sans avoir rien décidé ni rien résolu, se sont-ils fait un plaisir et un devoir d’acclamer le brillant et pathétique appel de Jean-Christophe Cambadélis à l’unité du « peuple de gauche » dans la perspective de l’élection présidentielle.
Une unité qui, dans l’état actuel des forces, des ambitions et des projets en concurrence, semble n’être qu’un défi impossible à relever, un rêve impossible à réaliser, une illusion, une utopie. Mais aussi un appel qui vient confirmer que du côté de la rue de Solférino comme du côté de la rue de Vaugirard, chez les socialistes comme chez les Républicains, à droite, à gauche ou au milieu on n’a toujours pas comprisou, pire, on n’a toujours pas admis la nature singulière de l’élection présidentielle et le caractère particulier du lien qui doit unir le chef de l’Etat non pas au « peuple de gauche » ou au « peuple de droite », mais au peuple tout entier.
Dans le système politique français tel qu’il fonctionne aujourd’hui, progressivement retombé dans ses pires errements, la plupart desdivers candidats à la magistrature suprême, garante de la cohésion nationale, de l’unité française, sont en fait l’émanation de partis ou de lobbies qui, comme sous feue la IVe, font de nouveau leur petite cuisine sur leur petit feu dans leurs vieilles et malodorantes marmites.
Celui-ci, dans l’espoir de plaire à son électorat supposé, tape sur les fonctionnaires, les chômeurs, les précaires et, à peine désigné par le « peuple de droite », s’enferme progressivement dans son statut de candidat des riches. Celle-làexcite les colères, exploite les révoltes et surfe sur le désespoir des frustrés, des inquiets, des exclus. Cet autre, admirateur de Castro, nostalgique de Chavez, fan de Staline et nostalgique de Robespierre, voudrait ressusciter les beaux jours de la Commune de Paris. Cet autre encore, pur produit de la caste et de la banque, a concocté un programme maison à l’intention des traders, des hispsters, des créateurs de start up et autres clients des bistrots chic de la rue Oberkampf où l’on rêve d’accélérer la modernisation, la mercantilisation et les inégalités de notre vieux pays pour le conformer à marche forcée au modèle américain. Cette autre, dernière venue, prétend rassembler le peuple « radical de gauche », sans doute dans une cabine téléphonique du Lot-et-Garonne…
Où est la noblesse de la politique, quelle vision de l’avenir peut-on avoir et quelle crédibilité, comment faire la nécessaire union nationale quand on n’envisage la société que comme une juxtaposition de communautés, une cible faite d’intérêts particuliers et de revendications catégorielles à repérer et à exploiter ? C’est confondre les rôles. Aux syndicats, aux associations professionnelles, aux élus locaux, régionaux, nationaux, revient bien entendu, à l’écoute des intéressés, de capter, de comprendre les plaintes, les aspirations, les demandes, les propositions mais aussi de les filtrer, de les faire remonter, de les faire accepter, mais pour autant qu’elles sont fondées, légitimes, justifiées, et compatibles avec l’intérêt général.
Mais ceux en particulier qui occupent une fonction publique, politique et d’abord les membres de l’Assemblée nationale devraient aussi se rappeler à tout moment ce qu’ils oublient de plus en plus souvent : qu’après avoir été les candidats d’un parti, puis les élus d’une circonscription, ils sont les représentants du peuple, suivant une belle expression qui ne comporte pas qu’ils représenteraient seulement le peuple de centre droit, d’extrême-gauche ou de je ne sais quel autre horizon limité.
Ce principe qui vaut pour ceux qui ont reçu un mandat national s’impose a fortiori, ou devrait s’imposer, à ceux qui briguent ou qui exercent la magistrature suprême. Le contrat qui lie le président de la République et tous les citoyens n’a de sens et de valeur que pour autant qu’il se situe au-delà des attachements corporatifs, des intérêts de classe et des engagements partisans.
Relancer l’économie, rebâtir l’école, reprendre les chemins de la prospérité, restaurer la force de l’Etat, recouvrer l’indépendance perdue, rendre sa fierté, sa grandeur et sa cohésion à la nation, retrouver la confiance dans le pays et l’avenir, c’est un but qui peut être commun à tous les Français. Ce n’est pas plus un projet pour le peuple de droite qu’un projet pour le peuple de gauche. C’est un programme pour la France.