La question pourrait paraître saugrenue. Pourtant, l’actualité nous donne chaque jour tant d’exemples de transgression de la loi, de non respect des normes et de contournement des règles, et ce au plus haut niveau et dans l’impunité la plus totale, que l’on se demande parfois si l’on rêve tout éveillé ou si l’on n’aurait pas changé d’époque sans s’en apercevoir, tel le personnage de Paul Fournier dans Hibernatus.
Ce mépris des règles, sans lesquelles aucune société ne peut vivre en harmonie, touche tous les domaines, et celui du patrimoine n’en est pas exclu. Le projet d’extension du musée des Beaux-Arts de Tours constitue une parfaite illustration de ce nouveau mode de fonctionnement pour le moins étonnant pour un esprit cartésien soucieux de ne pas vivre dans l’anarchie.
Le musée des Beaux-Arts de Tours, propriété de la Ville, est installé dans l’ancien palais archiépiscopal, près de la cathédrale, à proximité immédiate du mur gallo-romain dont une ancienne tour d’enceinte jouxte ses bâtiments. Lieu chargé d’histoire particulièrement emblématique, il offre un ensemble complet du XVIIIe siècle d’un intérêt patrimonial majeur, avec palais archiépiscopal et jardin, où les Tourangelles et Tourangeaux aiment à se promener en famille. C’est exactement là, au beau milieu de ce site inconstructible et protégé par une armada de dispositions légales et réglementaires qui imposent de préserver les bâtiments, le jardin et le site, qu’il est prévu de construire un nouveau bâtiment, destiné à abriter la collection d’un riche et généreux mécène ! L’implantation de l’extension, perpendiculaire au bâti existant, occulterait la partie orientale du pavillon central du XVIIIe siècle qui domine actuellement la composition, détruirait la symétrie de l’ensemble et dénaturerait l’esprit du lieu, voire le lieu lui-même puisque des réseaux souterrains traverseraient des galeries gallo-romaines et que les travaux occasionnés de manqueraient pas de causer des dégâts dans le jardin et le bois qui le prolonge.
L’affaire avance très vite, le projet a été présenté en réunion publique le 17 juin dernier et le permis de construire a déjà été déposé. Personne ne semble choqué par cette atteinte inadmissible portée à un site essentiel, pas même l’architecte des bâtiments de France qui a validé le projet. Il y va de la crédibilité de l’État : comment cet ABF pourra-t-il ensuite interdire à un particulier une couleur de peinture de volets ou la modification d’une lucarne, s’il autorise le pire ? Seules les associations et quelques personnes réellement soucieuses du patrimoine s’émeuvent de cette situation. Tours risque de saccager un des ses sites majeurs, pour une donation dont le contenu est mal connu. La collection Clingman – c’est son nom -, comporte en particulier des œuvres de l’épouse du donateur (Martine-Martine), l’ensemble serait assez disparate et d’un intérêt inégal.
Dans quelques jours, les Journées Européennes du Patrimoine seront l’occasion de célébrer notre merveilleux patrimoine, de le visiter, de le découvrir, et aussi d’entendre de beaux discours. Mais les paroles ne suffisent pas, encore faut-il des actes.
Evelyne Thomas
Déléguée nationale à la Culture