Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne depuis 2011, ancien vice-président de Goldman Sachs de 2005 à 2011… Mario Monti, ancien président du Conseil italien, de 2011 à 2013, précédemment conseiller international de Goldman Sachs, Jose Manuel Barroso, ancien Premier ministre du Portugal, ancien président de la Commission européenne, de 2004 à 2014, et depuis deux jours président non exécutif et conseiller international de Goldman Sachs, poste où il succède à Peter Sutherland, lui-même ancien commissaire européen.
La vie politique française nous a habitués, hélas, à ces allers et retours, à ces incessants va-et-vient entre le public et le privé, à ces va-et-vient entre la représentation de l’intérêt public, de l’intérêt général, de l’intérêt national et la défense des intérêts privés, des intérêts commerciaux, des intérêts financiers de telle ou telle multinationale, de telle ou telle grande banque d’affaires, à ces brillantes carrières où tour à tour, ministre, on s’enorgueillit d’avoir une connaissance de l’entreprise et, dirigeant d’une grande entreprise, on se flatte de la faire profiter de son carnet d’adresses et de ses relations dans la sphère politique.
Au niveau le plus élevé, nous avons vu Gerhard Schroeder passer sans transition de la chancellerie fédérale allemande à la direction de Gazprom, nous avons vu Tony Blair contribuer brillamment au déclenchement de la guerre contre Saddam Hussein puis ouvrir une prospère agence de consulting. Sans être à notre connaissance précisément inféodés à telle ou telle firme, à tel ou tel grand acteur de la finance internationale, Bill Clinton ou Nicolas Sarkozy volent de conférence en conférence et monnaient le nom qu’ils se sont fait à la tête de l’Etat contre des rémunérations que ne saurait justifier leur seul talent. Nous sommes si blasés, nous sommes à ce point mithridatisés, nous sommes à ce point convaincus de la porosité, voire de la collusion entre l’argent et la politique que rien ne nous étonne plus dans ce domaine. Tout donne du reste à penser qu’en annonçant simultanément la promotion de M. Barroso, les dirigeants de Goldman Sachs et l’intéressé (c’est le mot qui convient) lui-même ne craignaient même pas ou dédaignaient les éventuelles réactions de l’opinion, des médias, et bien sûr des institutions européennes.
Et pourtant… Imagine-t-on le général de Gaulle pantouflant chez Rothschild, Konrad Adenauer embauché par Krupp ou Siemens, ou Jacques Delors recruté par l’Union des banques suisses ?
L’honnêteté oblige à reconnaître que M. Barroso n’a contrevenu à aucun règlement européen et qu’il a scrupuleusement respecté le délai de dix-huit mois à l’expiration duquel il était exonéré de toute obligation et donc de toute investigation portant sur un éventuel conflit d’intérêts. C’est donc avec une impudence empreinte de fraîcheur, un cynisme naïf, si l’on ose cette alliance de mots, qu’il a fait état de sa bonne connaissance des rouages de l’Union européenne et qu’il s’est déclaré prêt à faire bénéficier ses anciens collègues et les gouvernements membres de l’Union de son aide. Rien au demeurant ne permet de dire que M. Barroso le cède en probité et en rigueur à M. Juncker ou à l’un quelconque de ses collègues.
C’est donc en toute tranquillité et en toute opacité que les membres de la Commission, techniquement aidés par les quarante mille fonctionnaires européens et dument conseillés par les trente mille lobbyistes qui prolifèrent à Bruxelles vont continuer à gérer les dossiers les plus complexes et les plus lourds de conséquences pour les économies et les peuples du Vieux continent, à commencer bien sûr par celui de ce mystérieux TAFTA censé donner à notre commerce et à notre industrie un nouvel essor qui bénéficiera de l’agrément des grands intérêts industriels et financiers américains et, j’imagine, de la bénédiction de… Goldman Sachs.
Que la Commission de Bruxelles, la majorité des parlementaires européens et des gouvernements de la zone euro soient acquis aux principes du libre-échange, de la libre circulation des individus, des biens et des bénéfices, qu’ils réagissent au refus populaire du fédéralisme et de la mondialisation par la proposition d’une union plus étroite des Etats et des économies européens est de leur responsabilité. C’est leur choix, qu’ils paieront et que nous paierons aussi, hélas. Mais leur impunité doit s’arrêter lorsqu’ils franchissent les limites parfois incertaines entre l’idéologie, la complaisance, la connivence et la corruption.
Qu’il s’agisse des mœurs privées ou des mœurs politiques, les liaisons incestueuses et leurs protagonistes doivent tomber également sous le coup de la loi.
Dominique Jamet