Une telle candeur – à moins qu’elle soit feinte – étonne, venant d’un aussi vieux routier de la vie politique. Homme d’appareil, de couloirs, de coulisses, de cuisine et de synthèses, le président de la République aurait-il oublié que dans les marigots du pouvoir, jeunes et vieux crocodiles sont plus souvent mus par l’ambition et l’intérêt que par la gratitude et la loyauté ?
Du coup, c’est le cadet qui fait la leçon à son aîné et se permet de lui rappeler que s’il a été nommé au secrétariat général (adjoint) de la présidence, puis promu au ministère de l’Economie, ce n’était à sa connaissance ni pour ses beaux yeux ni pour sa jolie tournure mais en raison de sa compétence, de son intelligence, de son savoir-faire, que dans l’affaire il est permis de se demander lequel des deux partenaires apportait le plus à l’autre, et qu’il n’est en définitive l’obligé de personne.
Tu quoque mi fili, et toi aussi mon fils ! gémit le premier. Mais tu n’es pas mon père, bien que tu en aies l’âge, réplique le second. Qui t’a fait duc ? reprend le sexagénaire. C’est peut-être toi, rétorque l’insolent, mais c’est du temps où tu étais encore roi.
Qu’on ne s’y trompe pas. Comme en leur temps Laurent Fabius ou Alain Juppé, comme aujourd’hui un Bruno Le Maire ou un Laurent Wauquiez, Emmanuel Macron est de de ces brillants sujets que le hasard d’un parcours et d’une carrière a amenés dans un camp, rattachés à une écurie, coiffés d’une toque et d’une casaque rose ou bleue, mais qui n’ont pour colonne vertébrale que leur ambition, et qui ne sont structurés que par l’ardent désir d’arriver le plus vite possible au sommet, peu importe par quelle face de la montagne. Ce jeune homme pressé a un appétit d’ogre, qu’il lui faut satisfaire coûte que coûte. L’avaleur n’attend pas le nombre des années.
Appelé à ses hautes fonctions par un président « de gauche », membre d’un gouvernement « de gauche », associé depuis quatre ans à une politique économique et financière « de gauche » mais confronté à la réalité d’un pays qui se droitise, d’une gauche qui part en lambeaux et d’un pouvoir tombé en quenouille, Emmanuel Macron ne craint pas de dire qu’à ses yeux les vieux clivages sont désormais périmés et que le mouvement qu’il vient de fonder les ignorera également et superbement. L’histoire de ces dernières années a été jalonnée de grandes ascensions qui commencent par de grandes trahisons au point que certains, se référant aux illustres exemples donnés par Jacques Chirac, Edouard Balladur ou Nicolas Sarkozy, finiraient par y voir une sorte de passage obligé pour le futur élu de la nation.
Nous avons tous connu un jour ou l’autre, sur les bancs de l’école, un chahuteur infernal qui faisait la joie de ses camarades et se rendait populaire en multipliant les pitreries et en lançant des boulettes de papier imbibées d’encre sur le professeur qui écrivait au tableau. Quand le maître se retournait, le coupable avait déjà les bras croisés et la mine innocente du bon élève. Enfin coincé et conduit dans le bureau du principal, il s’excusait platement, promettait de s’amender et récidivait aussitôt.
Ainsi procède depuis quelques semaines Emmanuel Macron. Ministre en activité, il lance à un an de la présidentielle un mouvement, met en place une équipe, invite ses premiers adhérents à porter la bonne parole à travers la France, annonce qu’il va mettre au point dans les meilleurs délais un programme présidentiel, qu’il ne se satisfait pas de la gauche telle qu’elle est, déclare aux dernières nouvelles qu’il n’attendra pas 2017 pour agir, mais ne voit vraiment pas pourquoi il quitterait le gouvernement et cesserait de provoquer le Premier ministre, de narguer ses collègues et de ridiculiser le chef de l’Etat.
M. Macron prend ses distances avec une majorité impopulaire et un président discrédité. Ce faisant, il affaiblit encore l’une et l’autre.
Il est à coup sûr douloureux pour François Hollande de reconnaître qu’il s’est trompé à ce point sur le petit prodige qui était encore récemment son chouchou. On comprend qu’il ait du mal à se séparer d’un ministre populaire, – l’espèce ne court pas les rues. Mais peut-il tolérer les insolences, les incartades, les défis et les écarts d’Emmanuel Macron sans y perdre le peu d’autorité qui lui reste ? On n’imagine pas que César, s’il avait soupçonné ses projets, eût accordé le port d’armes à Brutus.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la France