Lorsque l’autre nuit, aux alentours de deux heures du matin, quatre individus vêtus de blanc, cagoulés de noir et lourdement armés, ont fait irruption dans les salons du casino d’Aix-en-Provence, en tirant quelques coups de feu pour attirer l’attention du public, l’un d’entre eux hurlant même : « On va tous vous arroser ! », ou quelque chose d’approchant, une panique indescriptible s’est emparée, nous dit-on, des quelques centaines de noctambules qui se pressaient autour des machines à sous et des tapis verts de l’établissement de jeux…
Comment ne pas le comprendre ? Trois mois jour pour jour après la tuerie du Bataclan, le souvenir, à la fois frais et brûlant, hante encore toutes les mémoires et la crainte rôde dans tous les esprits, alimentée par les sinistres avertissements, les mises en garde sans cesse renouvelées et les sombres prophéties dont Manuel Valls accompagne désormais chacun de ses déplacements en France ou à l’étranger et chacune de ses prises de parole devant l’Assemblée ou dans les studios de la radio et de la télévision.
D’où le soulagement qui a immédiatement gagné les témoins bien involontaires de la scène lorsqu’ils ont constaté que leurs indésirables visiteurs du soir n’étaient pas venus pour eux et que, se contentant de les avoir terrorisés et neutralisés, ils ne s’intéressaient qu’aux tiroirs-caisses et aux espèces sonnantes et trébuchantes qu’ils espéraient y trouver. Leur intention n’était pas de massacrer au nom d’Allah, de Mahomet et de Daech, mais plus banalement de s’en mettre plein les poches au nom du pèze, du fric et du saint profit. « Ce n’était qu’un vol à main armée », titrait ce dimanche matin Le Parisien. Ce qui aurait pu être une nouvelle tragédie nationale n’était qu’un fait-divers somme toute banal. On n’avait pas affaire à des tueurs fanatiques, mais à de vulgaires malfrats.
Bien organisés, sans doute, mais mal renseignés. Les voyous semblaient ignorer que les casinos ont mis au point des systèmes perfectionnés d’alarme, de mise à l’abri de l’argent liquide et d’identification. Ils sont repartis sinon bredouilles du moins lestés de la modique somme de 40.000 euros, maigre butin, réparti entre au minimum cinq personnes (chauffeur compris), et dûment aspergés d’aérosols invisibles mais indélébiles pendant six mois, qui devraient permettre aux appareils détecteurs dont dispose la police de les confondre. S’ils ont pris l’élémentaire précaution de brûler leur voiture, s’ils courent toujours, ce n’est sans doute pas pour longtemps.
Alors, tout est bien qui finit bien ? Quittes pour la peur ? Pas si vite. Ce serait se satisfaire à bon compte.
Car c’est dans une cité de Marseille, dans les fameux « quartiers nord » de la ville, que s’est perdue la trace des gangsters. C’est de là qu’ils venaient, c’est là qu’ils ont trouvé refuge, c’est là que, selon toute apparence, ils se sont procuré avec une extrême facilité (on se souvient que Nicolas Dupont-Aignan en avait fait la démonstration l’an dernier) leurs fusils d’assaut et leurs kalachnikovs. C’est de là que pourraient aussi bien venir demain d’autres attaques qui ne prendraient pas pour cibles des biens matériels mais, comme le 13 novembre, des hommes et des femmes dont le seul tort est d’aimer la vie. C’est là, nul ne l’ignore, que se trouve le vivier où s’ébattent d’autres frères Kouachi, de nouveaux Coulibaly, des émules de Salah Abdeslam ou de Mohammed Merah.
Dûment alertés dans les minutes qui ont suivi l’attaque du casino, les policiers du commissariat voisin – cinq cents mètres de distance – n’étaient pas en état d’intervenir aussitôt. Et quel dispositif permettrait-il, en dépit des efforts et des assurances du ministre de l’Intérieur, de quadriller l’ensemble du territoire national de façon à déjouer, voire à décourager les prochaines offensives du terrorisme ? Quelles mesures ont-elles été prises, après la solennelle proclamation de l’état d’urgence, pour reprendre le contrôle des cités, des « quartiers » et autres zones de non-droit, pour enrayer la propagande, pour démanteler les réseaux, pour mettre hors d’état de nuire les prédicateurs enragés de l’islamisme, les recruteurs et les volontaires de la mort ? Le Premier ministre, dont nul ne conteste la grande énergie verbale, peut-il se borner à jouer les Cassandre pour la seule et amère satisfaction de pouvoir déclarer après le prochain fait d’armes : « je vous l’avais bien dit ! » ?
L’épisode de vendredi soir, pour dérisoire qu’il puisse paraître, sonne comme un avertissement. Sans frais. Pour cette fois.
Dominique Jamet