A propos de la crise entre Arabes et Perses
Par Henri Temple
1 – Mon père combattant (front d‘Orient et Verdun) pour ses 18 ans de 1915 à 1918 parlait peu de la terrible guerre à laquelle il avait survécu. Mais comme tous les héros anonymes qui venaient au long de mon enfance, une à deux fois par an, le revoir, ils en voulaient terriblement au ‘’père l’armistice’’. Par respect pour leurs meilleurs camarades dépecés vifs à 20 ans, à leurs côtés, ils pensaient qu’il fallait porter la guerre au delà du Rhin, dans une Allemagne en plein effondrement social. Le meilleur des généraux français (Castelnau, selon les Allemands eux-mêmes) préparait dès juin 1918, à la demande de Foch, l’offensive qui devait briser à jamais le militarisme germanique.
Nous eûmes les accords Sykes-Picot, Rethondes, Versailles les traités de San Remo et de Sèvres. Cette ‘’victoire’’ des politiciens fut aussi une triste défaite pour les plus pénétrantes des intelligences françaises.
J.M KEYNES écrivit alors Les conséquences économiques de la Paix et il ne fallut guère attendre plus de 20 ans pour que sa grave erreur économique (dont nous eûmes à payer dans nos chairs les tragiques conséquences) soit magistralement dénoncée par un Français, économiste de génie, Etienne Mantoux, mort au combat pour la France libre en 1945 : The Carthaginian Peace ou Les conséquences économiques de M. Keynes.
Mantoux y démontre que les réparations représentaient pour l’Allemagne une charge financière très surmontable et que le réarmement allemand coûta sept fois plus cher. Écrivant en anglais, Étienne Mantoux reprochait à Keynes d’avoir fait plus que tout autre auteur pour empêcher l’application du Traité de Versailles et donc avait affaibli les démocraties face au danger totalitaire, menant à une nouvelle guerre mondiale. Mantoux avait simplement prouvé a posteriori ce que Jacques Bainville, autre génie français si pertinent, lui aussi sacrifié à l’anglolâtrie ambiante, avait annoncé dans ses prophétiques Conséquences politiques de la paix (début 1919). Bainville expliquait très exactement pourquoi et comment l’Allemagne nous ferait une nouvelle guerre 20 ans après Versailles.
Parmi les conséquences du Traité de Versailles il y eût les Traités de San Remo et de Sèvres qui décidaient du nouveau découpage de l’Orient post ottoman. Mais, là encore, les politiciens français n’écoutèrent pas les grandes intelligences françaises et préférèrent se soumettre (déjà) aux desiderata bâclés et pressants des anglo-saxons. On trouvera ci dessous la carte annexée au Traité de Sèvres, dont les recommandations ne furent jamais appliquées. Pas plus que celles du Traité de Versailles. Or les hommes de grande culture qui avaient réfléchi à la façon de réorganiser les démembrements de la Sublime Porte savaient bien que l’Orient est un puzzle de peuples non miscibles ; et qu’il ne faut donc pas mêler dans le même Etat : chrétiens, yazidis, druzes, zoroastriens, Bah’ai ; et les Musulmans parmi lesquels chiites (de différentes obédiences) séculairement affrontés aux sunnites. Tout ceci compliqué par des ethnies différentes : arabes, turcs, kurdes, perses.
2 – La crise qui éclate au début 2016 entre deux de nos supposés alliés, l’Arabie et l’Iran, dans la guerre contre l’Etat islamique, ne fait que perpétuer des hostilités multiséculaires (invasion arabe en Perse), religieuses, culturelles, politiques, pétrolière, économique, géostratégique, démographique…Les évènement récents qui on vu une représentation diplomatique arabe à Téhéran mise à sac, à la suite de l’exécution d’un dignitaire religieux chiite (minoritaire en Arabie) n’en sont qu’une péripétie.
Même si l’on ne peut que désapprouver l’assaut donné, nécessairement avec la complicité au moins passive du gouvernement iranien, à un bâtiment bénéficiant de la protection diplomatique, il faut se demander pour quelle raison politique l’Arabie, sachant quelles en seraient les conséquences, a fait supplicier ce mollah chiite..
Il y en a au moins deux :
– D’abord l’affrontement géostratégique religieux intense, alimenté par les deux puissances rivales, qui se déroule entre sunnites et chiites en Syrie et en Irak. Mais aussi à Bahreïn, au Yémen, en Palestine, au Liban. Et jusqu’au Pakistan ; voire qui couve au sein même de l’Arabie.
– Ensuite le double jeu atavique des Arabes qui disent participer à la coalition contre l’Etat islamique, mais qui l’ont, en sous main, appuyé. Car l’Arabie est très fortement suspectée, comme le Qatar, d’abonder financièrement des œuvres et mosquées qui incitent au radicalisme le plus agressif. Et si l’Arabie n‘avait pas tant peur de voir se développer sur son sol des métastases de l’EI, on peut parier qu’elle serait très satisfaite du développement d’un projet totalitaire religieux, revanche des sunnites exclus du pouvoir à Bagdad. Or les 40 exécutés du 26 décembre sont presque tous des militants proches de l’EI qui a appelé à renverser les Saoud… !
3 – En 2015 l’Europe souffre encore des blessures reçues au cours de la 2e guerre mondiale (Yougoslavie, Ukraine …). Mais l’Orient aussi. Les guerres de Syrie, d’Irak, du Yémen, les tensions à Bahreïn, en Arabie même, en Palestine ne sont que des conséquences des choix d’inculture des anglo-saxons…lors de la ‘’paix’’ de 1918. Et nulle solution ne pourra être trouvée sans une réflexion historique et culturelle approfondie et radicale. Les Russes, comme souvent, ont une intelligence géostratégique bien supérieure, car inscrite dans la durée, aux amateurs du département d’Etat et aux excités du Pentagone. On ne dira rien des Français, inexistants depuis des décennies….
Les Russes savent qu’il faut remettre de l’ordre au Moyen Orient. Que cela passera d’abord par l’éradication de l’EI. Et l’appui de l’Iran. L’Iran revient au premier plan faisant passer l’Arabie au second. Celle-ci essaie de se rendre indispensable en brouillant délibérément la ‘’coalition’’. L’Iran tente de faire de même. Les Russes savent qu’il y aura un après Assad ; mais que ce moment ne viendra qu’après…Cet après Assad verra sans doute un renforcement des autonomistes kurdes ; une crise turco- iranienne n’est pas exclue à ce sujet.
4 – Et la France (après 2017) ?
La France redevenue elle-même en 2017 devra retrouver ses fondamentaux géopolitiques. Arrêter toute immigration supplémentaire (y compris en se retirant de Schengen) qui est sur le point de faire disparaître son identité. Eradiquer l’Etat islamique. Sans doute fermer sa base aérienne dans le Golfe. Réaffirmer sa forte présence en Méditerranée. Assister le Liban de façon démonstrative, massive et résolue. Sur la Syrie et l’Irak, revenir au Traité de Sèvres et créer des Etats en harmonie avec les demandes des populations. Ainsi d’un Etat Kurde, accueillant aux chrétiens et autres minorités au nord de l’Irak. Ainsi encore d’un territoire (indépendant ou autonome) sunnite confié à des modérés au nord ouest irakien et dans l’est Syrien. Ainsi de la partition du Yémen si nécessaire (ce fut déjà le cas) ; et une vraie démocratie majoritaire au Bahreïn…L’Arabie doit cesse d’envenimer les choses en envoyant ses troupes ou les soldats égyptiens qu’elle finance dans ces territoires, au nom d’une domination religieuse. L’Orient est plus que jamais une question trop sérieuse pour être abandonnée aux mauvaises habitudes prises il y a 100 ans, lorsqu’on n’appliqua pas les traités. Dans un monde qui va compter 8 milliards d’habitants les solutions déjà entrevues quand il n’en comptait qu’un seul doivent être retrouvée d’urgence. De grands mouvements démographiques incontrôlés seraient dramatiques.
Carte des solutions issues du Traité de Sèvres