Avez-vous déjà écouté les conversations des écoliers, lycéens ou étudiants dans les transports publics à leur sortie des cours ? Le plus souvent, on les entend émettre bruyamment et à un rythme saccadé des sons compréhensibles que d’eux seuls et cela à une vitesse de 78 tours sur un disque de 33. Les bribes de conversations qui nous arrivent, nous indiquent qu’ils en sont quasi totalement réduits à l’état d’échangeurs de borborygmes, souvent avec un accent venant d’ailleurs. Comment donc s’étonner que le niveau scolaire des enfants français soit aujourd’hui si bas. Comment, ces produits de notre civilisation seront-ils un jour en état de construire une réflexion, créer, voter ?
Avançons un peu le long de la pyramide des âges. Avez-vous eu l’occasion d’échanger sur des sujets d’ordre historique avec des adultes autour de la quarantaine ? J’ai souvent été frappé par l’ignorance assez générale sur certains faits marquants, faits dont les conséquences influencent notre vie de tous les jours. Je tairai par pudeur les propos qu’il m’a été donné d’entendre. J’en arrive à la conclusion que la remise à niveau est une tâche insurmontable. Il faut donc en chercher la solution ailleurs.
Je me revois dans la petite école de mon enfance de ce village du Massif Central, là où mes parents m’avaient mis en pension après la défaite de 1940. Avec mes petits camarades, enfants d’agriculteurs nous buvions les paroles de notre instituteur, “le maître“. Il n’y avait qu’une seule classe composée de trois divisions. Les petits, les moyens et les grands, nous portions tous une blouse et le silence régnait dans les rangs. Les grands préparaient le prestigieux Certificat d’Etudes Primaire. Chaque division profitait de l’enseignement donné à l’une des trois. Ce qui était enseigné à l’une, était entendu par les deux autres. Il agissait sur les petits comme une nouveauté et servait de révision aux plus grands. On y enseignait la table de multiplication, l’écriture à la plume “Sergent Major“, pleins et déliés, hauteur des lettres… Je me souviens de mes petits camarades plus doués que moi, que j’ai revus plus tard derrière un attelage ou sur le tracteur de la ferme familiale.
A la Libération, de retour à Paris, mon origine sociale a fait que j’entrais au lycée. Ce fut une des meilleures périodes de ma vie. Le lycée Henri IV était un lieu respectable auquel nous étions fiers d’appartenir, où il les professeurs étaient suivant le cas, craints, admirés ou gentiment chahutés. On y travaillait dur, mais nous savions que de notre travail personnel dépendrait la suite de notre parcours. Je dois dire qu’en dépit de l’excellente formation que j’avais reçue en primaire, mon niveau était tout juste suffisant pour suivre les cours. Je peux affirmer que les candidats bachelier savaient eux, lire écrire et compter, et même beaucoup plus. J’ai comme le sentiment que le bachelier d’aujourd’hui n’aurait que peu de chances au Certificat d’Etudes Primaire des années 50. Il suffit de consulter aujourd’hui, les CV non copiés-collés des candidats à l’embauche.
J’arrive maintenant à la conclusion que nous nous trouvons face à plusieurs générations perdues. Le réservoir d’enseignants de bon niveau, ne permettrait pas de remplir le vide laissé par des décennies de formation défaillante. Il faut donc commencer par recréer des Ecoles Normales d’Instituteurs. De former les futurs maîtres à l’excellence et cesser de les nommer “Professeur des Ecoles“. Il vaudrait mieux leur restituer le statut social qu’ils méritent, les rétribuer à un niveau s’il le faut, très au-dessus à celui des enseignants du supérieur, car de leur talent devra surgir une génération vraiment instruite et dont la Nation a besoin. Il n’est pratiquement plus possible de remonter le niveau des élèves déjà dans la nature, nous devons donc commencer par les tous petits et ainsi de suite par tranches d’âge. En une quinzaine d’années, on ferait de futurs vrais candidats à l’apprentissage ou aux études supérieures pour ceux qui le peuvent et le surtout le veulent. Apprendre un vrai métier au travers d’un authentique système d’apprentissage comme il en existe en Allemagne, en Autriche ou en Suisse. Des ponts seraient aussi prévus pour ceux qui décideraient plus tard de changer d’orientation. Il faut savoir qu’en Allemagne, de grands capitaines d’industrie proviennent de l’apprentissage et non de Sciences Po ou d’une quelconque Ecole Nationale d’Administration.