Saisissante contradiction : au moment où le Président de la République fait entrer au Panthéon quatre figures historiques de la Résistance, le même Président soutient bec et ongles la calamiteuse réforme des programmes scolaires voulue par sa Ministre de L’Education dont un des axes, concernant l’histoire, est de récuser l’idée d’un “roman national”.
Or un roman n’est pas une fiction et on ne demandera jamais à l’Histoire de gommer les réalités.
Mais pourquoi faire entrer au Panthéon ces quatre magnifiques figures qui payèrent leur courage de leur vie ou de l’enfermement dans les camps hitlériens, plutôt que de glorifier celles et ceux qui choisirent le renoncement dans la défaite en se situant derrière le régime de Vichy ?
C’est qu’au-delà d’un “esprit de résistance” mis à toutes les sauces dans le discours présidentiel, elles représentent la continuité d’une idée, celle de la liberté fondée sur la République et sur l’indépendance de la France. C’est parce que cette idée court depuis les grands architectes du Royaume de France, en passant par les révolutionnaires de 1789, Napoléon, Clemenceau, Charles de Gaulle. Ce sens donné à l’histoire est bien à proprement parler un roman, où les destins individuels viennent s’insérer dans une histoire collective.
Tout au contraire la néo-histoire voulue par les cénacles du pouvoir a pour elle une autre cohérence : quand on veut “mondialiser”, c’est bien du nivellement par le bas qu’il s’agit, et pourquoi donc faudrait-il alors que nos enfants bénéficient d’une formation de qualité ? Pour être chômeur, aller vendre des fringues ou des hamburgers en CDD pour un salaire qui se rapproche chaque année à petits pas du salaire moyen chinois, il n’ y a besoin que d’une seule chose : avoir dans la tête qu’il s’agit du meilleur des mondes et qu’il n’ y a pas d’alternative.
Pour y parvenir, rien ne doit être négligé pour faire admettre qu’il faut faire du passé table rase, qu’il n’y rien à y puiser sinon des horreurs, et que tous ceux qui y font référence sont au mieux des ringards, et plus probablement des autoritaires nostalgiques du fascisme. Des enfants sans racines seront des adultes facilement transplantables.
On comprend mieux dans ces conditions pourquoi l’histoire est la cible principale de ce véritable lavage de cerveau avec au centre la préoccupation de faire disparaître toute idée nationale.
La notion de “roman national” est devenue ainsi la bête noire de la néo-histoire, celle qui ne veut enseigner que le bien et le mal dans un axiome simple. La mondialisation et l’Union Européenne sont le bien, ceux qui s’y opposent sont donc le mal, des adorateurs conscients ou inconscients des nationalismes et des dictatures du passé.
Michel Lussault qui préside le Conseil supérieur des programmes (CSP), s’exprime de façon plus polissée dans Le Monde daté du 13.05.2015, mais ne dit pas autre chose. “ Il y a quelque chose de dérangeant dans l’idée, récurrente, de vouloir faire de l’histoire un « roman national »”. L’idée est certes récurrente, mais pas en tout cas depuis vingt ans dans les sommets de l’Education Nationale, pour lesquels, selon Michel Lussault, “ il s’agit juste de reconnaître la pluralité de l’histoire de France”, avant d’affirmer que “les professeurs ne sont pas pour le roman national”. A en croire les grèves actuelles, c’est peut-être plus compliqué.
On ne peut demander aux historiens de fabriquer des fictions, et encore moins des mythologies. L’histoire étudie les faits, leur enchaînement. Mais étude des hommes par des hommes, elle n’est pas neutre, elle ne peut se soustraire à l’inévitable interprétation, et elle ne peut s’interdire de donner du sens. N’est-ce pas son rôle même, parce qu’il s’agit aussi de donner aux nouvelles générations une grille de pensée pour affronter l’avenir ?
L’histoire est un combat de forces antagonistes. Dire de l’histoire qu’elle est “plurielle” serait-ce donc les renvoyer dos à dos, tout se valant ? L’émergence du monde moderne en Europe n’est-elle que le fruit du hasard, ou bien la résultante d’une civilisation chrétienne où Etat et religion, bien que liés, ne furent jamais confondus, et qui permit dans ce hiatus l’émergence d’un espace de liberté et de création, de laïcité, qui a permis l’explosion du savoir ? N’y-a-t-il pas là une leçon essentielle face à la tentation de la régression théocratique contemporaine ? L’émergence de la démocratie ne fut-elle pas consubstantielle à l’exigence de liberté nationale ? N’ ya t-il pas là une leçon face à la tentation renouvelée de faire de l’Empire, qu’il soit américain, chinois ou islamique le modèle du XXI ° siècle ?
Pour la France, faudrait-il passer le combat des Lumières contre l’obscurantisme, celui de De Gaulle contre Vichy au rang des curiosités passées ? Nos liquidateurs bien-pensants se retrouvent ils aussi loin de Jean-Marie Le Pen qu’ils pensent l’être ?
Ce qui caractérise l’humanité, c’est la quête du sens. L’histoire n’a pas à en dicter arbitrairement le contenu, mais elle en fournit le matériau et ne peut prétendre à la neutralité. Et l’idée nationale est au cœur de ce besoin de sens, parce qu’elle a elle-même forgé l’histoire depuis des millénaires et que rien ne la remplace malgré toutes les tentatives.
L’histoire n’ a certes pas pour vocation d’être une hagiographie de la nation et n’ a pas à passer sous silence les crimes commis en son nom, ni sa perversion nationaliste.
Mais la nation et l’histoire sont justement un roman. Elles ont une logique, qui est celle de la géographie, des frontières naturelles, du climat et des ressources. L’histoire est l’histoire des faits, mais aussi de sentiments et de représentations. Elle est une réalité autant qu'un imaginaire. C'est ce mélange, propre à l’humanité, qui fonde un désir de vivre ensemble un passé, un présent et un avenir sans lequel la démocratie n'est plus qu'une comptabilité d'opinions vide de sens.
Au Panthéon, vit l’histoire de France qu’un Président confus vient saluer tout en voulant la réduire à un brouet illisible dans les écoles.
François MORVAN
Vice-Président de DLF