Il y a dix ans, le peuple français poussait un formidable cri de liberté. N'écoutant que son bon sens et son courage, refusant l'éternelle tentative d'intimidation de la pensée unique, il infligeait un cinglant camouflet à un traité néfaste pour son avenir. Par ce vote solennel autant que massif, il réclamait clairement une réorientation de la construction européenne, en proie à des dérives antidémocratiques et antisociales menaçant son pacte républicain, jusqu'à la Nation elle-même. On lui avait laissé la parole, avec beaucoup de réticence, à condition qu'il donne la « bonne » réponse : celle qui, parée de la bénédiction du suffrage universel, allait défaire un peu plus la France et son modèle de société. Las, dans un geste d'autodétermination digne de la Fête de la Fédération, nos concitoyens dirent « non » à tous ceux qui prétendaient leur tenir la main dans l'isoloir. Ils refusèrent de laisser mourir leur pays, leur identité et leurs valeurs, en contrepartie de quelque Europe que ce soit. Ils ne seraient pas les complices ni l'alibi d'un assassinat déguisé en euthanasie.
Ils attendaient, et beaucoup d'Européens – pour la plupart privés de parole – avec eux, une grande refondation du projet européen, cette belle idée de réconciliation et de prospérité partagée entre les peuples issue de la Libération. Mais dans un sens, cette fois, respectueux des nations, qui n'ont plus besoin d'être mises sous surveillance, et pour vraiment répondre à la légitime soif de Progrès des peuples. C'est ainsi l'honneur et l'immense vertu de la démocratie que de changer le cours des choses dans la paix, par le simple respect de la majorité.
Enfin, c'était… car à ce cri libérateur répondit une mise au pas pure et simple, une « normalisation » comme on disait au sein de l'ancien bloc soviétique lorsqu'il fallait étouffer les aspirations démocratiques de régions récalcitrantes envers Moscou. Les chars en moins il est vrai, mais avec le même goût de cendre dans la bouche, avec un sentiment de gigantesque gâchis et d'infinie tristesse. Ainsi pour la première fois depuis 1789, depuis même que la France est la France, une assemblée aucunement mandatée en ce sens par les citoyens, décidait de désavouer le peuple dont elle n'est pourtant que le représentant, en bafouant le référendum.
S'il y avait eu dans notre histoire des coups d'Etat approuvés par le peuple pour mettre fin aux dérives oligarchiques du système d'assemblée, nos élites inaugurèrent cette fois, pour imposer la Constitution européenne honnie, le coup d'Etat parlementaire. Seul le funeste 10 juillet 1940, qui confia des pouvoirs spéciaux au maréchal Pétain pour complaire au Vainqueur, avait esquissé – dans un geste apparaissant aujourd'hui comme préfigurateur – le sinistre 8 février 2008. Précédent gravissime et tragique, qui aurait été inimaginable voilà encore quelques années. Comment a-t-on pu en arriver là, sans guerre ni révolution ? C'est que désormais nos élites se contrefichent éperdument du peuple français, seul leur importe l'avis restreint de la nouvelle internationale qu'elles forment avec la caste des dirigeants étrangers et communautaires qui, tous, avaient appelé à ce viol démocratique et s'en sont outrageusement félicités. La voici donc cette « démocratie » européiste supérieure à la nôtre, qui consacre le pouvoir de quelques uns, comme dans un lointain écho à l'Europe du Congrès de Vienne – finalement balayée en 1848…
Dix ans après le 29 mai 2005 et sept années après avoir imposé la Constitution européenne-bis de Lisbonne, l'Europe et la France vont-elles mieux ? Les promesses mirifiques auxquelles ne croient même pas ceux qui les ânonnent pour donner le change, ont elles été au rendez-vous ? Une monnaie unique plus inique que jamais qui ruine les pays fragiles et assure la domination sur eux de l'Allemagne, la jeunesse sacrifiée sur l'autel du chômage de masse, des frontières ouvertes à tous les vents de l'anarchie mondiale, un traité de libre-échange transatlantique dévastateur pour nos standards sociaux et démocratiques que l'on cherchera à nous imposer et pour lequel je demande un référendum, des peuples dressés les uns contre les autres comme si l'on était revenu à l'été 1914, partout la renaissance des extrêmes droites, fruit noir de l'irresponsabilité et de l'inconséquence d'élites dévoyées… Est-il besoin d'en rajouter ?
Célébrer le 10e anniversaire du 29 mai 2005 est pour nous, gaullistes, un geste d'espoir et de refus de la fatalité. Espoir que la démocratie finisse par triompher dans un nouveau Printemps des peuples. Refus, aussi, d'être enfermés dans l'alternative mortifère d'un tripartisme stérile : avec d'un côté ceux qui se sont déshonorés en trichant avec la démocratie et ne font tenir leur système en faillite que par la peur, et de l'autre ceux qui font le pari de la colère et de la division.
Debout la France continue son combat pour cette « France libre » dont Romain Gary avait fait sa patrie et sans laquelle notre pays ne saurait continuer à être lui-même. Une France forte, respectée, démocratique et prospère, dans une Europe confédérale capable d'additionner les génies nationaux au lieu de les anéantir, voilà notre feuille de route d'hier et d'aujourd'hui. Oui, en ce début de XXIe siècle et comme jamais, « la seule querelle qui vaille est celle de l'homme. C'est l'homme qu'il s'agit de sauver, de faire vivre et de développer. » (Charles de Gaulle) !
Nicolas DUPONT-AIGNAN
Député de l’Essonne
Président de Debout la France