En ces temps troublés où des lois sont votées sur des sujets très sensibles touchant la vie et la mort et donc l’intime de chaque personne, cet article se veut sans doute plus philosophique que politique, quoique …
En mettant en avant des valeurs pour faire passer la loi sur la fin de vie, réfléchissons au sens des mots ; E. Macron le dit : « les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés. »
Et pourtant, fraternité, dignité, liberté, solidarité, aide, humanité, vie, autonomie, vulnérabilité, prendre soin, accompagner, soulager, n’ont plus le même sens et sont utilisés « à l’envers » pour rassurer les consciences. D’ailleurs, l’Etat a osé parler de « secouristes à l’envers » pour les « soignants » qui vont exécuter ce geste.
Quelle liberté quand on doit choisir entre souffrir ou mourir ? En effet, 21 départements ne sont toujours pas pourvus d’unité de soins palliatifs, ce qui était pourtant un engagement de l’Etat avec la loi Clays-Léonetti ; 500 Français meurent chaque jour sans avoir eu les soins nécessaires. Un choix par défaut alors que nous manquons de médecins et que l’hôpital est dans un état dramatique : le choix de rester des heures aux urgences à attendre sur un brancard ou de recevoir une injection létale ?
Quelle liberté quand on se sait un poids pour la société, pour sa famille, qu’on se sent inutile, coûteux, improductif et devenu indigne de vivre ? On souhaite tous mourir dans la dignité et celle-ci est inhérente à la personne humaine, même amoindrie par la maladie ou à l’approche de la mort. Comment éveiller qu’une vie n’est pas qu’utilitaire ? Liberté, dignité est une rhétorique de bien portant. Notre société est obsédée par la performance.
« Une loi de fraternité, qui concilie autonomie de l’individu et solidarité de la nation» «un texte humaniste qui place la dignité humaine au cœur de son projet » : étrange utilisation du mot fraternité et du mot dignité quand il est plus facile d’accéder à la mort qu’aux soins palliatifs parce que l’Etat n’a pas honoré ses engagements. E.Macron veut « regarder la mort en face » ce qui peut paraitre méprisant pour le personnel des soins palliatifs pour qui c’est le cœur de leur travail ! Etre attentif aux malades souffrants relève d’un impératif de fraternité ; conduire les personnes vulnérables à l’auto-effacement est contraire à la solidarité.
La fraternité ne serait pas plutôt dans l’aide à vivre que dans l’aide à mourir ? Qui peut décider que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue ? Ce qui aide à mourir, ce n’est pas un produit létal mais c’est l’affection, la considération, l’attention, la lutte contre la souffrance : les personnels des soins palliatifs sont des témoins de ce qui se passe de beau dans la fin de vie avec la conscience d’exister, d’être inclus dans la société et de vivre de belles relations.
« Ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter des jours à la vie » Jean Bernard
Les soignants sont impliqués dans cette loi pour donner leur aval, prescrire le produit létal et éventuellement l’injecter, or donner la mort n’est pas un soin.
La solution à la souffrance n’est pas la mort, comme si on pouvait se débarrasser du problème en se débarrassant du malade.
« La société accompagne la personne malade et fragile, en reconnaissant la part de vie complète et absolue qu’il y a jusqu’à la dernière seconde » nous dit E. Macron qui se contredit quelques lignes après : « cette loi de fraternité permet de choisir le moindre mal quand la mort est déjà là » : un moindre mal reste un mal et la vie est encore là.
« Se tresse, jusqu’à la dernière seconde, par des gestes humains (sic …), la possibilité de vous aider à en finir, car vous l’avez choisi » : oui, c’est la personne qui le demande et donne son consentement ; avec le risque de dérives : on a vu ce qu’était devenu le consentement libre et éclairé pendant la crise du Covid …
On devient aussi le seul pays au monde où un proche peut euthanasier. A-t-on pensé aux répercussions, à la culpabilité ?
Le texte change d’intentionnalité et de logique pour passer de l’accompagnement à la logique de tuer, avec la prétention de faire un modèle à la française, ne parlant ni de suicide assisté ni d’euthanasie, pourtant bien présents. On juge une société et son degré de civilisation à sa manière de prendre soin des plus fragiles, des plus vulnérables.
« Je suis assez sûr du chemin qu’on prend. Ma main ne tremble donc pas »
Monsieur le Président, nous demandons que votre main ne tremble pas pour avoir le courage d’offrir des conditions décentes d’accueil dans nos hôpitaux , pour créer des unités de soins palliatifs dans tous les départements comme l’exige la loi , pour financer la recherche sur les traitements anti-douleur, sur des solutions émergentes qui donnent un espoir légitime (exosquelettes, dispositifs de commandes ), pour prendre soin des plus vulnérables , malades , personnes âgées et porteuses d’un handicap ,et aidants , pour être vigilant à toutes les dérives qui ne tarderont pas à arriver. Ce sont là les véritables priorités.
En conclusion, je vous livre une citation de Philippe Pozzo di Borgo, tétraplégique après un accident, qui a inspiré le film « intouchable » : « c’est vous que vous soulagez, vous êtes égoïstes, vous avez besoin de moi pour être dignes ; nous avons besoin les uns des autres »