Madame la Ministre,
Est-ce à Sciences Po que l'on vous a appris qu'un mensonge répété dix fois finit par devenir une vérité ? Ce que vous affirmez jeudi à RTL sur le collège 0.0, comme je l'ai appelé dès son dévoilement, et les programmes 100 % pédagos écrits pour mettre un peu plus de vide dans une structure décérébrée est faux de la première à la dernière ligne.
Dans la ligne de mire
Vous fustigez "des éditorialistes, des polémistes, des pseudo-intellectuels" : en clair, tout ce qui pense en France. Voulez-vous que je mette des noms sur les gens qui tirent à vue sur votre réforme ? Éditorialistes comme Natacha Polony ou Éric Conan, polémistes comme votre serviteur, et intellectuels comme Régis Debray, Jean-Claude Michéa, Michel Onfray, Marc Fumaroli ou Michel Zink. Droite et gauche confondues.
Parmi cent autres. Depuis trois ans, tout ce qui n'appartient pas à la tribu des béni-oui-oui se voit retirer l'étiquette de penseur. À force d'exclure, il ne vous reste plus personne, sinon ces grandes inintelligences convoquées justement pour écrire les programmes dans le sens qui vous plaisait. Voulez-vous mettre en balance Laurent Lafforgue, mathématicien, médaille Fields, qui s'indigne, avec tant d'autres, de ce que vous faites à la culture, et Laurence de Cock (qui ça ?) qui s'en réjouit ? Croyez-vous vraiment que la démolition qu'esquisse Régis Debray de votre "école Nutella" (moins on en a, plus on l'étale) soit contrebalancée par l'approbation de François Jarraud (qui ça ?) dans Le Café pédagogique ? Le malheureux ne trouve à reprendre à vos programmes qu'un infime détail – mais qui vaut le détour.
La seule "vraie faiblesse" de ces programmes, écrit-il, est "dans l'enseignement du fait religieux. Pas en ce qui concerne la chrétienté médiévale ou antique ou encore l'islam médiéval. Tout cela est au programme comme les Lumières. C'est le fait religieux au XXIe siècle qui mériterait probablement d'avoir davantage de place". Tel quel. Pas assez d'islam. Pas assez de communautarismes. Pas assez de culpabilité occidentale.
Passons sur le fait que s'attaquer aux intellectuels est une manoeuvre essentiellement populiste qui rappelle des heures sombres au goût d'huile de ricin. Mais sur le fond, qu'avez-vous vraiment apporté – à part des arguties qui ressemblent à des "contre-vérités, voire des mensonges absolus", comme vous le dites vous-même ? Vous connaissez l'histoire de l'arroseur arrosé ?
La vraie réforme
La vraie réforme, elle est là, décryptée en détail par de vrais profs – pas les bras cassés des pédagogies rances convoqués pour remplir les rangs du Conseil supérieur des programmes, comme je l'ai raconté par ailleurs. La dernière réforme, celle de Xavier Darcos, contrairement à ce que vous affirmez, remettait de la chronologie dans des programmes impressionnistes élaborés sous Jack Lang. Bien sûr que les trois religions monothéistes étaient étudiées, entre la sixième et la cinquième.
Et tant mieux. Le hic, comme je l'ai expliqué ici même, c'est qu'à présent, l'Occident médiéval, l'humanisme, les Lumières sont devenus optionnels, alors que l'islam est resté obligatoire. Éteindre les Lumières ! Et vous voudriez que ça ne fasse pas jaser ? Vous l'auriez écrit pour titiller l'extrême droite que vous ne vous y seriez pas prise autrement.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas que l'extrême droite, ces temps-ci, à pleurer sur la disparition du "roman national". Pas que l'extrême droite pour constater que toutes vos bonnes paroles suppriment, de fait, des heures d'enseignement précieuses en français, en langues et en maths. Pas que l'extrême droite à souhaiter, au plus vite, le changement.
Une grève qui n'a rien de corporatiste
Le 19 mai, les principaux syndicats enseignants appellent à faire grève contre cette réforme inique. Je supplie les lecteurs qui ordinairement critiquent le droit de grève enseignant que, cette fois encore, il en va vraiment de l'avenir de leurs enfants. Si ça passe, c'est fichu.
Vous supprimez, après tous vos prédécesseurs, des heures précieuses surtout pour ceux que vous dites défendre – ceux qui comme vous ne sont pas nés avec une cuillère en argent et la langue française dans la bouche. Vous leur déniez l'école dont vous avez bénéficié. Tout comme, en autorisant des mères voilées à escorter des élèves lors de sorties scolaires, vous leur déniez la laïcité dont vous avez profité.
Vous vous débrouillez si bien que c'est dorénavant l'extrême droite qui a rapatrié chez elle ces beaux mots de République et de laïcité. Et la notion de transmission des savoirs. Bravo ! Pour quelqu'un dont j'ai pistonné auprès de mon éditeur, au nom de la liberté d'expression, le livre que vous avez coécrit avec Guillaume Bachelay contre le Front national (Réagissez ! Répondre au FN de A à Z, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2011), c'est tout de même un peu surprenant.
Ou pas si surprenant que ça, au fond. Sous prétexte d'égalitarisme, vous faites le jeu de la classe à laquelle vous aspiriez d'appartenir – ça y est, c'est fait. Ceux qui mettent leurs enfants dans les bonnes écoles – privées, souvent – de Paris intra-muros. Le Collège Najat sera un collège de privilégiés – ou ne sera pas, ce qui est l'hypothèse que je retiens, de mon côté.
À propos, où sont inscrits vos propres enfants ?
Jean-Paul-Brighelli
Délégué national à l'Instruction publique