Interview publiée le 26 octobre
Entre 2200 et 2300 migrants se trouvent actuellement à Calais et dans ses environs, contre 1500 à la fin de l'été. Une situation intenable qui, pour Nicolas Dupont-Aignan, tient au caractère désuet de l'espace Schengen. Il appelle à un coopération des nations pour rétablir le contrôle aux frontières extérieures et intérieures.
Atlantico : Depuis le début de la semaine la situation déjà tendue à Calais entre les migrants et une partie des habitants est montée d'un cran, virant à l'affrontement. Comment en est-on arrivé à une telle situation ? France, Europe, à qui peut-on en imputer la responsabilité ?
Nicolas Dupont-Aignan : Je m'étais rendu à Calais au mois de mai, j'avais tenté d'alerter l'opinion au moment des élections européennes. J'avais vu sur place des choses ahurissantes.
J'ai rencontré ces migrants, j'ai beaucoup discuté avec eux, et leur situation est tragique, mais cela ne nous donne pas le droit de leur faire croire que la France est encore un eldorado.
Pour moi, la réelle cause de cette situation est l'absence de contrôle aux frontières. Les migrants se trouvent à Calais dans un cul-de-sac. Ils veulent se rendre en outre-Manche mais l'Angleterre contrôle ses frontières et pas la France. La vraie question est la suivante : quand va-t-on traiter la réelle cause des problèmes ? Quand va-t-on mettre fin à Schengen ? Quand va-t-on rétablir des contrôles aux frontières et bloquer à notre frontière italienne les migrants ? Car nous les laissons entrer sur le territoire français, sans possibilité pour eux d'en sortir après. Et ils se retrouvent donc coincés à Calais.
Il y a bien sûr des causes plus lointaines. Le drame en Syrie, la déstabilisation de l'Afrique, ce qui prouve bien qu'une politique étrangère efficace et une politique de défense sont utiles. Par ailleurs, les dirigeants français, quels qu'ils soient, refusent de reconnaître l'échec total de Schengen. Ce qu'ont compris les Anglais. Ce qui n'interdit d'ailleurs en rien à l'Angleterre de rester ouverte au monde, simplement l'Angleterre sélectionne ses entrants et contrôle ses frontières.
La question n'est pas de savoir si la France doit être ouverte sur le monde mais de savoir si on accepte la loi de la jungle ou si au contraire on est efficace. Quand les migrants arrivent à Lampedusa, l'Italie leur donne un billet de train et une carte de séjour européenne. Et après il n'y a plus de contrôle des frontières. D'ailleurs, je signale que les accords de Schengen permettent de rétablir des contrôles provisoires aux frontières. Le gouvernement pourrait, sans susciter une crise européenne, rétablir des contrôles à la frontière européenne. La suspension pour troubles à l'ordre public est tout à fait possible. Mais au-delà, il vaut mieux que chaque pays contrôle ses frontières internes.
Depuis mercredi, des moyens supplémentaires (70 gendarmes et 30 CRS en patrouille) ont été déployés dans la ville sans grands résultats. Est-ce à la France de gérer seule cette situation ? N'est-ce pas contraire à l'esprit de Schengen ?
L'esprit de Schengen ne peut pas résister à la réalité des faits. C'est une utopie, chaque pays est responsable et c'est à la France de régler ses problèmes. Pourquoi voudrions-nous que l'Italie règle les problèmes de la France ? Je préfère qu'il y ait des frontières à la France plutôt que des barrières entre les Français. Or, puisqu'il n'y a pas de frontières à la France, il y a des frontières entre les Français. Le contrôle des frontières ne réglera pas tout, bien évidemment, mais il permettra déjà de mieux gérer les flux. C'est élémentaire et le Royaume-Uni l'a bien compris.
Le Royaume-Uni hausse le ton depuis plusieurs mois sur les questions migratoires sans susciter autre chose que des menaces ou du mépris de la part de ses partenaires européens. Que risque-t-on à refuser d'entendre ce que David Cameron a à dire sur le sujet ?
Les dirigeants européens d'aujourd'hui sont sourds et aveugles à la réalité : leur monde et leurs illusions s'effondrent. Et ils ne veulent pas l'admettre. C'est tragique pour l'Europe. Nous pouvons être unis, travailler ensemble, tout en gérant chacun nos flux migratoires, tout en ayant chacun notre monnaie.
Nous avons un double effondrement, d'abord un effondrement migratoire lié à l'anarchie qui règne et un effondrement économique lié à un euro totalement illusoire et qui ne fonctionne pas. Mais nous avons des dirigeants qui ont construit ce système depuis 20 ans et ils ne veulent pas perdre la face. Ils préfèrent nourrir le chaos, plutôt que de renoncer à leurs chimères. Ce sera à notre nouvelle génération politique de rétablir l'ordre tout en travaillant entre pays européens sur des vrais sujets.
Sur France Info, Pierre Lellouche a déploré que l'on soit "en train de sabrer dans le régalien. Là où on a besoin de moyens contre le terrorisme, on coupe dans le régalien pour maintenir des systèmes qui ne cessent de prendre l'eau de toute part et qu'on n'arrive pas à financer". Partagez-vous son analyse d'un abandon du système régalien ? S'agit-il d'une tendance à l'œuvre depuis plusieurs années ou est-elle caractéristique de la gauche au pouvoir ? Quelles conséquences faut-il en attendre ?
Oui, mais Pierre Lellouche a signé tous les traités européens. Il aurait dû nous soutenir, quand avec 10 parlementaires, notamment de l'UMP, nous avions refusé de voter le traité budgétaire que nous a fait signer François Hollande. J'entends M.
Valls, M. Sapin, M. Lellouche, parler de la souveraineté française mais tous ces gens-là ont signé les traités européens qui nous ont mis dans cette difficulté.
Cet abandon du système régalien est caractéristique depuis 10 ans, mais il est accentué par la gauche car elle est davantage sous la pression de l'Union européenne. Mais le budget du système régalien, que ce soit le ministère l'Intérieur, la justice ou la défense nationale, a été laminé. Et le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été aussi catastrophique que celui de François Hollande. On ne peut continuer à tuer notre outil de défense parce que Madame Merkel nous donne des ordres absurdes. Nous sommes en train de casser les deux principales réussites de la France qui étaient, d'une part son outil de défense qui lui permettait de jouer un rôle dans le monde et d'autre part sa politique familiale qui lui permettait d'avoir une bonne démographie.
Nous sommes dans un pays à la dérive. On pourrait très bien faire autrement, une autre politique est possible. Il nous faut retrouver la maitrise de nos frontières, renégocier tous les accords européens et transformer l'Union européenne en une coopération des nations sur des projets scientifiques, industriels, sur des projets utiles comme le projet Airbus par exemple. L'Europe supranationale s'effondre devant nous mais cela ne veut pas dire que l'Europe est à jeter. On peut très bien avoir une Europe des nations et des projets. Nous risquons de devenir un pays de seconde zone, c'est-à-dire qui ne maîtrise pas son destin. Et cela est inacceptable alors que nous avons tous les atouts. Nous avons un siège à l'ONU, des militaires remarquables, nous avons une capacité scientifique.
Sommes en train de brader le modèle français ?
Oui, nous sommes en train de brader tout ce qui faisait l'exception française. Cela car nous n'avons plus la maîtrise économique. Nous nous sommes laissés appauvrir par l'Europe et nous le payons cher aujourd'hui. Soit on continue la lente glissade et nous allons sortir de l'histoire et devenir une province allemande, soit on réagit. Il faut que l'on se libère et que l'on retrouve le sens de l'effort.
Au PS comme à l'UMP, la mode est actuellement au recentrage. Que vous inspire cette stratégie ? Le philosophe Alain Finkielkraut a récemment associé le recentrage à un déni de réalité. Partagez-vous son analyse ?
C'est un déni total de réalité, parce qu'ils ne veulent pas reconnaitre l'inefficacité totale de leur politique. Ne voulant le reconnaitre, ils se réfugient dans la pensée unique, dans une politique absurde. Leur monde s'effondre et ils croient qu'il faut aller plus loin dans la même politique. En vérité, Monsieur Macron, tout comme Monsieur Sapin, pourraient être ministre de monsieur Sarkozy ou de Monsieur Juppé. Ils font la même politique, plus que jamais et ils sont de plus en plus impuissants. Il ne s'agit pas d'une question de droite ou de gauche mais de savoir si on défend l'indépendance française ou pas. La vraie question n'est pas celle du recentrage, la vraie question est qu'ils n'ont pas compris ce qu'il passe alors que nous sommes à la veille d'un soulèvement révolutionnaire. L'histoire s'est toujours déroulée de la sorte, ceux qui nous envoient dans le mur avant de s'effondrer ont un dernier sursaut d'orgueil et d'arrogance.
Cette semaine semble avoir marqué le retour d'une stratégie de droitisation chez Nicolas Sarkozy. Vous sentez-vous menacé ?
Plus personne ne croit en Nicolas Sarkozy, plus personne n'y attache même de l'importance. Les Français ont été nettement abusés par lui. Et Nicolas Sarkozy prend en otage l'UMP à des fins personnelles.
Propos recueillis par Carole Dieterich
Retrouvez l'interview sur le site d'Atlantico : http://www.atlantico.fr/decryptage/nicolas-dupont-aignan-prefere-frontieres-en-france-barrieres-entre-francais-1826058.html