C’est en avril prochain, dans moins d’un an, qu’entreront en vigueur les sanctions financières décidées par l’Union européenne contre les collectivités territoriales de tout niveau qui n’auraient pas adapté leur éclairage public aux normes européennes telles que définies notamment par les circulaires EN 40, EN 13201, etc. et de ce fait ne se seraient pas mises en conformité avec la directive émise par la Commission de Bruxelles en septembre 2013…
Les désirs de la Commission sont en effet des ordres puisque ses directives, une fois ratifiées par le Parlement européen, ont vocation à être transposées par les Parlements des pays membres de l’Union pour y prendre forme et force de lois.
Là-dessus des esprits rétrogrades et grincheux s’élèveront comme d’habitude, du reste en pure perte, contre la dernière en date des sages décisions qu’élaborent, que mettent au point et que nous imposent des bureaux, des instances et des institutions supranationaux. Est-il normal, diront-ils, est-il conforme au fameux principe de subsidiarité, que l’U.E. intervienne dans un domaine qui ne paraît pas excéder les compétences et les attributions des Etats, des régions ou des municipalités ? Est-il souhaitable que des normes administratives donnent une couleur uniforme à nos nuits et que la lumière froide et blanche des LED vienne partout se substituer à des éclairages plus chauds, plus conviviaux, plus sympathiques ? Est-il acceptable que soient punis et pourquoi pas mis au piquet, coiffés du bonnet d’âne, ceux qui, avec l’accord des populations locales et l’assentiment des touristes, refuseraient de se plier à la règle nouvelle ? Etait-il indispensable et à ce point urgent de changer les lumières de la Ville ?
On imagine bien que les responsables ainsi interpellés ont mis au point toute une batterie de réponses à des questions aisément prévisibles. Tout ce qui sera fait, nous assurent-ils avec un bon sourire quelque peu condescendant, n’a pour objectif que le bien de la collectivité. Le temps de la marine à voile, des ampoules à incandescence, des halogènes et des lampes à huile, c’est fini. Vous pensez bien que nous n’avons pas procédé sans nous appuyer sur les rapports irréfutables des experts les plus qualifiés. Il s’agit de substituer des sources d’énergie justes, équitables et performantes à des techniques obsolètes. Les réverbères à vapeur de mercure étaient à la fois énergivores et polluants. Les LED vous assureront un confort incomparable et des économies appréciables. La raison et le progrès sont avec nous.
Alors, plus rien à dire ? Ou beaucoup à redire ? La rénovation de l’éclairage public, c’est-à-dire de l’éclairage des autoroutes, des routes, des sens giratoires, des voies ferrées, de nos avenues, de nos rues, de nos places, constitue un marché tout simplement colossal, évalué à neuf milliards d’euros. Le fait que des groupements qui se présentent comme des syndicats de l’éclairage, que Philips, Toshiba, Siemens, fabricants et fournisseurs désignés des lampes de l’avenir, soutiennent et cautionnent le grand remplacement prévu, doit-il être considéré comme un argument positif ou inciter au contraire à un examen plus approfondi du problème et de ses données ?
Bruxelles, on le sait, n’est pas seulement le centre de la plupart des institutions européennes, mais la capitale des lobbies et des lobbyistes. On évalue à vingt mille personnes environ le nombre de ces professionnels qui ont officiellement pour mission d’informer et officieusement de convaincre, d’influencer, de séduire, voire de corrompre les quelque quinze mille fonctionnaires et les vingt-huit commissaires européens. Les activités et les choix des uns et des autres sont-ils contrôlés, par qui et comment ? Sans vouloir mettre en doute la scrupuleuse honnnêteté des premiers et la parfaite probité des seconds, maltais, slovènes, lituaniens, italiens, luxembourgeois, roumains ou français, ils ne sont que des êtres humains, et l’on est fondé à se demander, étant donné l’énormité des mises, des enjeux et des conséquences, s’il n’y aurait pas lieu de s’interroger sur des processus de décision qui, dans tant de domaines, pèsent sur la vie quotidienne de chacun de nous et de se demander si les nécessités d’intérêt général qui sont invariablement invoquées ne correspondent pas, parfois, à la satisfaction d’intérêts particuliers. Et puisqu’il s’agit d’éclairage public, on aimerait un peu plus de lumière.
Dominique Jamet
Vice-Président de Debout la République