Le 25 octobre, le président Hollande a donné au Monde un entretien surréaliste qui risque de marquer son quinquennat et même l’histoire politique de notre pays : « Exercer le pouvoir, aujourd’hui, c’est très dur. Il n’y a plus aucune indulgence, aucun respect. Mais je le savais » commence-t-il par avouer. Il ajoute : « Eh puis, je l'ai voulu ! Pas simplement pour des raisons personnelles, le destin d’une vie. Mais parce que je pense que pour la France, c’est mieux que ce soit la gauche qui fasse cette mutation, qu’elle le fasse par la négociation, dans la justice, sans blesser les plus fragiles ni les déconsidérer. Les autres l’auraient fait sans doute, mais brutalement ». Et de conclure sur la sortie de crise : « Nous en sommes à la troisième année de crise. La reprise va arriver, c'est une question de cycle » avant de corriger après quelques instants de réflexion : « Il peut aussi y avoir un scénario noir, celui de la récession. Le rôle du chef de l'État c’est de préparer toutes les hypothèses ».
De tels propos inspirent à l’historien du politique un mot : l’anormalité. Elle est d’autant plus paradoxale que François Hollande avait annoncé à cors et à cris qu’il serait un « président normal ». Avant lui, aucun chef de l’État de notre histoire contemporaine ne s’était pareillement épanché dans l’exercice de ses fonctions que le régime fût à exécutif fort ou faible. Aucun n’avait ainsi étalé publiquement ses états d’âme. Aucun n’avait ouvertement placé l’ambition comme un moteur de la quête du pouvoir avant l’intérêt général. Aucun n’avait avoué une telle impuissance, après moins de six mois aux affaires, en s’en remettant à la main invisible de l’économie. Oui, l’exercice du pouvoir est difficile, de façon aussi évidente que l’eau mouille et que le feu brûle. Oui, les journalistes se montrent critiques, encore faut-il préciser qu’aucun n’a encore qualifié, à ma connaissance, l’hôte de l’Élysée de « voyou » comme certains avaient pu le faire de Sarkozy, mais de termes assez… normaux… compte tenu des circonstances, tels qu’ « apprenti » ou « amateur ».
Le drame est qu’il y a eu tromperie ou au moins quiproquo. Le 6 mai dernier, les Français ont pensé élire un « président normal » au sens de « président aux normes de la Cinquième République », comme les cinq qui, de 1958 à 2007, n’avaient pas dérogé, en dépit de personnalités, de sensibilités et de contextes différents. Ils ont cru rompre avec l’hyper-président Sarkozy qui, précisément, a si peu correspondu aux canons de la fonction et les a irrités par ses excès en tout genre, ses promesses et son activisme brouillon couronné de si pauvres lauriers. Or, ils n’ont manifestement pas choisi pour lui succéder un « président normal », mais un « homme normal », à l’image de notre société du spectacle, de l’auto-flagellation et de l’à-peu-près et dont les discours prononcés à l’occasion des commémorations de la rafle du Vel d’Hiv et de la manifestation du 17 octobre 1961, ainsi que lors de sa visite à l’île de Gorée sont autant d’approximations historiques, d’autant plus graves qu’elles ont été proférées par un chef de l’État. Cet hypo-président par essence a nommé à Matignon un autre « homme normal » et ils mènent ensemble une politique qui, naturellement, leur ressemble. L’histoire nous montre que dans les circonstances exceptionnelles, les gens normaux ne suffisent malheureusement pas !
Eric Anceau
Historien politique à Paris-Sorbonne et à Sciences-Po Paris
Adhérent DLR