Cet été, j’ai débattu avec Julien Landfried de la nécessité ou non de quitter la monnaie unique. Jean-Pierre Chevènement avait affirmé « qu’il ne faut pas sauter de l’avion en vol ». Image habile, à moins que l’on soit convaincu que cet avion va finir par s’écraser…
La parabole de la maison
Ce que je veux démontrer, c’est que la zone euro est une maison mal construite, en zone inondable, et qui repose sur des fondations pourries. C’est une maison mal construite, dont les fenêtres ne sont pas étanches, dont le toit a des fuites car les politiques monétaires qui sont menées sont mauvaises, que l’euro est une monnaie chère qui détruit notre industrie. Mais c’est aussi une maison construite en zone inondable car elle est ouverte à tous les vents de la mondialisation.
Pire, pour reprendre l’image de Nicolas Dupont-Aignan, on pourrait dire que les technocrates de Bruxelles nous ont imposé de la construire sans porte qui puisse la fermer. Enfin, c’est une maison qui repose sur des fondations pourries, puisqu’il ne s’agit pas d’une Zone Monétaire Optimale, d’une zone apte à partager la même monnaie. Dès lors, une seule question se pose : cela vaut-il le coup, oui ou non, d’essayer de faire fonctionner cette construction baroque ?
A travers les multiples papiers et débats que j’ai pu avoir avec des économistes ou des blogueurs, opposés ou favorables au maintien de la monnaie unique, ma conviction est solide et sans nuance : la monnaie unique ne peut pas marcher. Il ne sert à rien de refaire les fenêtres et la toiture de la maison euro ou de construire des digues car elle va finir par s’effondrer. Pour reprendre l’image de Chevènement, mieux vaut sauter de l’avion avant qu’il ne s’écrase.
Pourquoi la monnaie unique ne peut pas marcher
L’immense force des partisans de la monnaie unique est qu’aujourd’hui, en plein trouble économique, les citoyens n’ont pas (pour l’instant) envie d’ajouter une incertitude monétaire au contexte actuel. Néanmoins, l’évolution du débat en Allemagne et en Grèce laisse penser que cette solution gagne chaque jour du terrain. De même, beaucoup d’Argentins ne voulaient pas mettre fin au peg avec le dollar, avant finalement d’y venir devant l’impasse dans laquelle ils étaient.
Le problème fondamental de la monnaie unique est qu’elle est le poison qui est en train d’asphyxier l’Europe. C’est bien parce que les pays européens ne peuvent pas se reposer sur des monnaies nationales qui permettraient d’ajuster leur politique économique à leurs situations différentes que la zone euro subit la crise actuelle. Aujourd’hui, les pays attaqués par les marchés ont besoin de dévaluer pour relancer leur économie, comme cela se fait depuis des décennies.
Ce n’est pas pour rien que les pays riches qui sont restés en dehors de cette construction baroque ne souhaitent pas la rejoindre. Si l’euro était la panacée, il est bien évident que la Suède, le Danemark et la Grande-Bretagne voudraient nous rejoindre. Mais cette hypothèse est sortie du champ des possibles. Le Royaume-Uni a amorti la crise en laissant se déprécier la livre (sans cela, l’effondrement de ses banques aurait occasionné une crise bien plus grave que chez nous).
La Suède, qui n’est pas encombrée par un système financier hypertrophié, a fait de même en laissant filer la couronne : résultat, le pays a enregistré 4% de croissance en 2010 et en 2011, une preuve de plus que l’euro est un boulet pour la croissance des pays européens. L’euro provoque des cercles vicieux qui renforcent tous les déséquilibres inhérents à sa construction.
Les fausses solutions des euro obligations et du FESF
Bien sûr, certains évoquent les euro obligations, l’augmentation du FESF, la monétisation ou une plus grande intégration européenne. Mais toutes ces « solutions » présentent des défauts rédhibitoires. Tout d’abord, elles ne font que traiter le problème de trésorerie des pays en difficulté, sans jamais permettre de relancer la croissance. La Grèce n’a pas seulement besoin d’argent pour payer ses créances, mais elle doit surtout retrouver les moyens à terme de les honorer elle-même.
En effet, c’est bien beau de donner des centaines de milliards à des pays en difficulté, mais à date, ce sont uniquement des plans d’aide aux créanciers de ces pays pour éviter des défauts qui aboutiraient sans doute à la fin de la monnaie unique. Ce dont a besoin la Grèce, c’est de retrouver un équilibre financier à long terme. Et il est permis de douter qu’avec un PIB qui aura baissé de 15% en 4 ans et une dette qui devrait atteindre 170 à 180% du PIB fin 2012, cela soit le cas.
Il faut être clair, les euro obligations, le FESF ou la monétisation ne permettent que de traiter le problème de trésorerie, mais en aucun cas la capacité des pays à dégager de la richesse (ce qui devrait être la priorité). En outre, ces trois options posent de tels problèmes de règles que les pays européens sont incapables de traiter depuis la mise en place du fonds au printemps 2010. 18 mois de crise perpétuelle n’ont pas permis de proposer un autre mécanisme, signe de l’impasse actuelle.
En effet, les euro obligations ou l’augmentation des moyens du FESF augmenteraient les engagements des Etats, dégradant leur situation financière et leur note. Ajouter de la dette au niveau européen quand il y a un problème de dette au niveau national est illusoire. En outre, comment imaginer deux secondes que l’Allemagne se porte caution de 4 000 milliards de dettes européennes, comme le suggère in fine la proposition d’euro obligations de l’institut Bruegel ?
C’est une chose de donner 200 milliards de garantie, mais les euro obligations ou toute solution qui permettrait de refinancer l’Italie représentent un saut gigantesque pour l’Allemagne, que beaucoup de commentateurs et politiques français traitent avec une désinvolture assez incroyable. Reste la solution de la monétisation massive par la BCE, la solution la plus indolore. Elle se heurte aux traités mais aussi au refus plus que probable de l’Allemagne.
Et de toutes les façons, elle ne règle pas le problème de croissance des pays européens ni même le fait qu’avoir une monnaie unique pour des économies aussi disparates a tendance à accentuer les problèmes au lieu de les résoudre. Bref, pour paraphraser le Général, on peut bien sauter sur sa chaise en disant « euro obligations, euro obligations, euro obligations », cette solution est invendable politiquement et profondément dysfonctionnelle concrètement.
De la gouvernance européenne
Les partisans d’une Europe fédérale sautent sur l’occasion pour affirmer qu’il faudrait aller plus loin dans l’intégration politique. Mais ce n’est pas parce que c’est leur rêve que cela résoudrait d’une quelconque manière les problèmes actuels. En quoi une plus grande intégration permettrait-elle de relancer la croissance de la Grèce et de l’Italie, qui souffrent du libre-échange et d’une monnaie beaucoup trop chère par rapport à la compétitivité de leur économie, y compris au sein de l’UE ?
En fait, on peut se demander si les péripéties politiques des 18 derniers mois ne sont pas davantage la conséquence des vices de forme de cette construction baroque et artificielle qu’est la monnaie unique plutôt que d’un problème de gouvernance. Certes, une construction fédérale permettrait sans doute d’émettre des euro obligations, mais qui dit que ce mélange de dettes souveraines de qualité très diverse plairait aux marchés et que la spéculation ne continuerait pas ?
En outre, les constructions fédérales, même quand elles sont intégrées, comme en Allemagne ou aux Etats-Unis, ne sont pas des systèmes de décision très fluides. Les péripéties budgétaires et du plan santé d’Obama démontrent qu’il n’est pas facile de prendre des décisions dans un système fédéral. Il en va de même en Allemagne, où la bagarre est rude pour Angela Merkel, qui doit faire avec une opinion hostile, un parlement indécis et une Cour de Karlsruhe exigeante.
Bref, même si beaucoup affirment un peu rapidement que l’intégration politique permettrait de résoudre tous nos problèmes, cette affirmation est hautement contestable. Outre le fait que c’est justement une intégration économique hasardeuse qui nous a mené à cette crise, ils ne font aucunement la démonstration que cela résoudrait quoi que ce soit à la situation actuelle, d’autant plus que la seule chose évoquée, plus d’austérité, ne va pas améliorer la croissance.
C’est pourquoi il ne sert à rien de s’acharner à essayer de faire fonctionner une construction qui ne pourra jamais marcher. Transformons l’euro en une monnaie commune et revenons aux monnaies nationales pour sauver l’Europe d’un délire intégrateur qui a déjà fait trop de mal, avant qu’il n’en fasse encore plus.
Laurent Pinsolle
Porte-parole de Debout la République