La Police Nationale vient d’abandonner le projet informatique Scribe et ce, sans réels recours possibles suivant le contrat signé avec le fournisseur. Un nouvel échec dans les grands projets menés par l’état et pour le quotidien de nos agents déjà bien mal lotis en dotation matérielle et en infrastructures.
Presque 12 millions d’euros auront été dépensés en pure perte d’ouverture de ce service mais pas pour les réalisateurs de ce ”succès”. Souvenons-nous de Louvois, le logiciel bugué de la paie de nos militaires : une situation qui a généré 700 millions d’euros de soldes indues à rendre provoquant un casse-tête de remboursements pour nos personnels des armées. De nos informations, Source Solde (basé sur un logiciel de SOPRA), son remplaçant en déploiement, lui, est robuste.
SCRIBE : quelle enveloppe projet initiale pour une solution de … dépôt de plaintes … sans doute truffée d’Intelligence Artificielle, de Deep Learning, d’algorithmes ontologiques des plus puissants ? Arrêtons-là la moquerie dont nous prenons le droit comme citoyen averti et co-financeur.
Il y a encore vingt ans, en France, on savait spécifier, modéliser, réaliser un logiciel et souvent c’était la même personne capable de faire chacune de ces étapes. Coder et développer n’étaient pas une basse tâche pour un ingénieur même chevronné : un peu comme du temps du LRP-PN, la solution actuelle de dépôt de plaintes qui fait son job et dite ”en fin de vie”.
Aujourd’hui, autour d’un projet informatique … pardon IT ou de Système d’Information, on a souvent 80% de ”gestionnaires”, de leaders et 20% de développeurs qui eux sont … panacée des temps modernes … miracle inouï de la mondialisation et de la collaboration totale, souvent outsourcés … en Inde.
Perte de compétence, d’effectifs locaux et donc d’autonomie plombent le France dans sa capacité productive (ici en informatique mais aussi dans l’énergie avec l’EPR ou encore dans la santé …).
Communication douloureuse et incompréhension culturelle viennent ensabler les rouages des méthodes anglo-saxonnes d’agilité unitaire (”Scrum”) ou à l’échelle (”SAFe”) qui, théoriquement, sont bonnes mais souvent pitoyablement utilisées et appliquées.
Bref, les professionnels de ce secteur qu’est l’informatique, reconnaîtront tous dans ces précédentes lignes leur quotidien où tout le monde baisse la tête car critiquer, lever des doutes serait devenir un populiste, un ”col jaune” des open space !
Les retards ou échecs d’un projet ont bon dos là, dans l’esprit startupeur, où toutes les parties prenantes sont responsables : de mal spécifier son besoin, de mal restituer la compréhension pour l’intégrateur, de mal documenter pour faire faire, tous responsables de monter des usines à gaz organisationnelles faites souvent de sous-traitance en poupée russe pour que chaque étage d’intermédiation ait sa marge, que l’on dilue la faute sur l’autre. Si simple pour tous surtout quand on ne travaille pas avec ses deniers propres mais ceux de la dotation de l’état.
SCRIBE : Poubelliser ces années hommes pour un nouvel appel d’offre en cible 2021+3 = 2024, avec les mêmes ”pontifes des grands corps” décideurs et meneurs pour l’état et les mêmes méthodes ? Cette fois-ci pour une solution sur étagère paramétrée ? Celle d’un GAFAM et directement dans leur cloud pour être ”trendy” et bien vu de sa communauté des DSI pour sa carrière ? Ou une solution d’une startup pour gonfler sa valorisation, réseautage aidant, avant que cette startup ne s’évapore ou soit rachetée par un géant étranger pour être dépecée ?
Où sont les pilotes ? Où est le bon sens ? Sait-on en France, dans le monde, encore mener des projets d’ampleur … Oui, car des fusées, des avions et des produits pharmaceutiques naissent et apparaissent sur le marché mais à quels prix de boulets procéduraux, de coûts et de retard.
Là où des SpaceX excellent, des Arianespace perdent en efficience par application de méthode ne leur ressemblant pas culturellement. Sont-ils coupables de résistance et immobilisme ? Pas forcément. SCRIBE rejoint le cimetière des gadgets inutilisables comme les milliers de caméras-piétons initiales peu maniables, ”françaises” mais basées sur du matériel chinois, pays pourtant très doué en matériel pour le crédit-social … La tablette NEO (Sony / Android) et quelques réfections sur une enveloppe conséquente sont néanmoins là pour améliorer la vie de nos policiers.
Ce sujet éminemment politique fait, qu’aux commandes, DEBOUT LA FRANCE demanderait :
– un pilotage des grands projets informatiques mais aussi matériels de l’état par une agence étatique dédiée et indépendante, suivis au cordeaux avec procédure d’alertes (des projets sont néanmoins observés par la DINUM) sur les coûts, les retards, l’efficience du projet.
– que sur les sujets régaliens (armées, police-gendarmerie, éducation, énergie, …), les solutions ne soient pas choisies, conçues et déployées en partenariat par défaut et forcé entre pays de l’Union Européenne pour rester sur une maîtrise pleinement nationale.
– pour les projets de l’état, une éthique de sous-traitance minimale et non mondialisée.
– des contrats protégeant des engagements par validation de réelles phases dont celle de la conception et de la démonstration de maquettes pré-réalisation.
– un droit de regard sur les méthodes employées par le sous-traitant de rang 1 et de toute la chaîne (agilité unitaire ou à l’échelle comme SAFe ou autres), surveillance des effectifs en termes de ratios d’exécutants versus cadres accompagnants.
– une étude par projet de solidité de l’acteur et de son écosystème (talon d’Achille par des startups ou de la sous-traitance en cascade et étrangère avec barrière de langue et de culture).
– une charte de logiciel de l’état français, avec spécification, développement et totalité des acteurs purement francophones, avec un minimum de briques étrangères (GAFAM) avec recours à des solutions d’hébergement dédiées (ne vas pas dans le sens du Cloud de Confiance souché sur des solutions américaines (Stratégie nationale pour le Cloud : le “Cloud de confiance” français sera de souche américaine…).
– de redonner force et vigueur à nos laboratoires et à des établissements comme l’INRIA sur l’aspect opérationnel de l’informatique de nos institutions.
– de lutter contre l’effet anglo-saxon de gentrification des projets par un syndrome des ”mains propres” et des ”mains sales” : revaloriser le statut de cadre français qui est menacé par la mondialisation, rehausser la valorisation de nos diplômes d’ingénieur et culturellement de la noblesse de la réalisation technique versus celle actuelle de la seule gestion de projet et du management qui éloigne nos talents de la production de systèmes et de produits de qualité.
Lionel Mazurié
Délégué National au Numérique