Dans un contexte tendu (contestation de la loi sécurité globale, polémique sur les conditions d’intervention des forces de l’ordre lors d’événements médiatisés), le président de la République a décidé le 8 décembre 2020, d’organiser un “Beauvau de la sécurité”, sous forme de tables rondes réunissant des représentants de la police et de la gendarmerie nationales, des ’’experts’’, des élus et des citoyens, pour échanger autour de 8 thèmes (relations police/population, encadrement, formation, relations police/justice, maintien de l’ordre, conditions matérielles, captation vidéo, contrôle interne). L’objectif affiché est de déterminer les moyens « d’améliorer les conditions d’exercice des forces de l’ordre et de consolider les liens avec les Français ». Y aurait-il, enfin, une volonté d’agir ? Nous ne pouvons qu’en douter, car depuis l’élection d’Emmanuel Macron, il s’agit du troisième cycle de concertation successif, ayant le même objet.
En effet, à compter de février 2018, a été engagée après une large concertation, la police de sécurité du quotidien, présentée, déjà, comme une doctrine nouvelle devant permettre de renouer le lien police-population et de répondre aux attentes exprimées par les policiers et les gendarmes. Puis, le 16 novembre 2020, après un an d’une nouvelle concertation, le livre blanc de la sécurité était publié, proposant un panel de 200 mesures.
Alors, pourquoi relancer un cycle de concertation ? Ne serait-il pas temps de mettre en œuvre des mesures concrètes ? Les annonces faites à l’occasion des premières tables rondes renforcent notre scepticisme.
1) Chantier 1 : lien police/ population
Les premières pistes évoquées par le ministère de l’Intérieur portent sur l’organisation d’une campagne de communication sur les valeurs de la police et de la gendarmerie (couplée à une démarche recrutement) et sur le renforcement des réserves opérationnelles (avec pour la police nationale, un objectif de 30 000 réservistes).
Des opérations de communication sont déjà régulièrement organisées, afin de susciter des candidatures pour les différents concours. Ne s’adressant qu’à des publics potentiellement intéressés par les postes offerts, leur impact est limité. Le message est, en outre, souvent brouillé par le traitement médiatique de certains événements et les propos tenus par des autorités, qui (par amateurisme ou mauvais calcul politicien) cautionnent les comportements ‘’anti-police’’ (chef de l’État évoquant des contrôles au faciès, porte-parole du gouvernement ne sachant pas expliquer à ses enfants s’il est bien ou mal de jeter des pierres sur des policiers ou des gendarmes). C’est l’ensemble de la stratégie de communication institutionnelle qui devrait être remise en question.
Par ailleurs, concernant la réserve opérationnelle de la police nationale, la Cour des Comptes, dans un rapport d’avril 2019, a souligné que celle-ci demeurera marginale « pendant plusieurs années, malgré les objectifs affichés », en raison de l’absence des moyens nécessaires pour une large ouverture à la société.
2) Chantier 2 : encadrement
Interventions dans les cités difficiles sans la présence d’encadrants expérimentés, commissaires et officiers accaparés par la gestion administrative, les effectifs en première ligne contre la délinquance éprouvent de plus en plus un décalage avec une part de leur hiérarchie.
Les pistes annoncées en réponse relèvent principalement de déclarations d’intentions (clarifier les responsabilités des encadrants, les valoriser, mieux les former et améliorer la fluidité entre les corps notamment en créant « des voies d’accès particulières qui valorisent l’engagement opérationnel et les acquis professionnels »). Cette dernière proposition serait pertinente, si ces voies d’accès n’existaient pas déjà, tant dans la gendarmerie nationale que dans la police nationale.
Selon des propos attribués le 21 février par Le Figaro à un ‘’ grand Préfet ‘’ : « Il faudrait recruter à nouveau des officiers et des commissaires pour remettre un peu d’équilibre”. En effet depuis 2000, le nombre des commissaires est passé de 2 200 à 1 600 et celui des officiers de police de 16 000 à 8 000. Cette année, 243 postes sont ouverts aux concours d’officiers de police, contre 68 seulement l’an passé. Nos gouvernants auraient-ils pris la mesure de la situation ? Non, car cette augmentation ne vise pas à renforcer l’encadrement, mais simplement à compenser les départs prévisionnels en retraite.
La réduction du nombre d’officiers de police et de commissaires s’intégrait dans une réforme globale reposant sur un repositionnement des corps, des gradés devant remplacer les officiers dans certaines fonctions. Mais, la forte réduction des effectifs consécutive à la RGPP[1], ne permettait pas de remplacer tous ces gradés dans leurs précédentes fonctions d’encadrement de proximité. Dans ce contexte, des responsables hiérarchiques ont vu s’accroitre leurs tâches administratives et de gestion, alors que dans le même temps l’encadrement de proximité était moins présent.
Indépendamment des actions à mener pour rénover la gestion des ressources humaines, la proposition de Debout la France d’augmenter les recrutements, afin de compenser les réductions générées par la RGPP et de renforcer les capacités opérationnelles, permettra également d’apporter des réponses aux problèmes actuels d’encadrement au sein de la police et de la gendarmerie nationales.
3) Chantier 3 : la formation
Alors que les interventions des forces de l’ordre donnent régulièrement lieu à contestation de la part d’individus prompts à remettre en cause les fondements de notre société et à s’opposer à toute marque d’autorité, les candidats recrutés doivent être aptes à faire face aux contraintes spécifiques de ces fonctions et bénéficier d’une formation adaptée. Comme pour le chantier précédent, les premières pistes annoncées portent sur des déclarations d’intentions (développer l’attractivité) et des mesures présentées comme nouvelles, alors qu’elles correspondent à des dispositifs déjà existants (diversification des voies de recrutement).
Par ailleurs, l’espace médiatique s’est focalisé sur l’erreur d’avoir réduit la durée de la formation des gardiens de la paix. Quelle erreur ? La période d’apprentissage en service a été allongée (16 mois de stage au lieu de 12) avec en contrepartie un raccourcissement de la période consacrée aux apprentissages théoriques en école (8 mois au lieu de 12). Cette évolution permet-elle de mieux intégrer les compétences professionnelles et relationnelles indispensables ? Les premiers élèves gardiens concernés ayant seulement commencé leur stage en service, il est impossible de répondre objectivement à cette question aujourd’hui.
De plus, avec la RGPP, les recrutements ayant fortement été réduits, une grande partie des structures de formation, devenue superflue a été fermée. Si la scolarité initiale devait être ramenée à 12 mois, la police nationale ne serait pas en mesure d’accueillir l’ensemble des contingents devant être formés. Le candidat Macron avait d’ailleurs évoqué la nécessité de créer deux nouvelles écoles de police; promesse oubliée depuis. Pour mémoire, quatre écoles de gendarmerie ont été fermée à la fin des années 2000 : Montargis (Loiret), Le Mans (Sarthe), Châtellerault (Vienne) et Libourne (Gironde). On mesure, alors, le degré d’anticipation de l’avenir des forces de sécurité intérieure dont ont su faire preuve nos responsables politiques !
Était-il réellement besoin de ce nouveau cycle de concertation pour répondre aux attentes ? Les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre réalisent leurs missions ont déjà fait l’objet, à de multiples reprises, d’analyses et de constats. Le livre blanc, soulignant l’indigence actuelle, a proposé de porter d’ici 2030 le budget des missions “Sécurité” à 1% du PIB (soit un triplement du montant actuel). Si les chantiers ouverts devaient conduire à des annonces pertinentes, leur mise en œuvre nécessiterait du temps (de l’établissement des textes nécessaires décrets/arrêtés, au déploiement des moyens, en passant par l’attribution des crédits correspondants).
Avec Nicolas Dupont-Aignan et à 13 mois de la présidentielle, le “Beauvau de la sécurité” nous apparait clairement, comme une simple opération de communication, destinée à gagner du temps et à reporter à plus tard des évolutions cruciales qui sont pourtant nécessaires dès maintenant.
Bruno Grangé
Délégué national à la Sécurité
[1] La révision générale des politiques publiques (RGPP) vise à partir d’une analyse des missions de l’État à procéder à des restructurations des services concernés, en opérant généralement des réductions drastiques d’effectifs.