Cette tentative d’auto-amnistie, finalement déjouée sous la pression de Nicolas Dupont-Aignan et des réseaux sociaux, s’est déroulée en trois actes devant le Parlement.
1er acte – Monsieur Philippe Bas, sénateur LR, fait adopter par le Sénat le 4 mai 2020, un amendement rédigé comme suit :
« Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire… à moins que les faits n’aient été commis :
1° Intentionnellement ;
2° Par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus au chapitre 1er bis du code de la santé publique ;
3° Ou en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application du même chapitre ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. »
Cet amendement instituait l’auto-amnistie préventive de la « faute caractérisée ». Donc des blessures et homicides involontaires commis par les ministres, les élus locaux, les hauts fonctionnaires, les chefs d’entreprises.
Seuls les blessures et homicides les volontaires seraient restés condamnables.
Dans tous les débats parlementaires et dans toute la presse, il a été mis en avant que ce texte était élaboré pour protéger la responsabilité des maires.
C’est un grand mensonge. En tant que maire et avocat nous savons que la loi Fauchon, combinée avec l’arrêt du Conseil d’Etat « Commune de Sceaux », protège parfaitement notre responsabilité d’élu.
Ce texte n’était pas fait pour nous mais pour les ministres et les hauts fonctionnaires.
Monsieur Bas, ancien secrétaire général de la présidence de la République, aurait élaboré ce texte en liaison étroite avec l’Elysée.
En le faisant voter par le Sénat, Monsieur Bas n’a pas grandi la fonction de parlementaire, censé être au service du peuple français.
Car la justice, dans notre démocratie, est la seule arme dont disposent les plus faibles, les petits, les sans grades, les gens de peu, ceux qui ne sont ni conseillers d’Etat, ni inspecteurs des finances, ni président de grandes sociétés, pour obtenir parfois après des années de lutte judiciaire une réparation, la plupart du temps symbolique, alors qu’ils ont perdu, comme dans l’affaire du sang contaminé que j’ai bien connue, leur famille, leur santé, leur vie.
Tenter, simplement tenter, de les priver de ce droit à obtenir que justice leur soit rendue au nom du peuple français, est une infamie.
C’est aussi une atteinte à la séparation des pouvoirs puisque de très nombreuses plaintes étaient déjà déposées au moment où le texte a été adopté par le Sénat.
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Nous avons la conviction que Madame Nicole Belloubet, ministre de la Justice, n’a pas été associée à cette manœuvre indigne.
Cet épisode concrétise ce que chacun a pu constater pendant la calamiteuse gestion de la catastrophe sanitaire.
Ce pays est gouverné par quatre personnes, dont une seulement a été élue.
Ces quatre personnes (Alexis Kohler, secrétaire général de la Présidence de la République, Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet à Matignon, Edouard Philippe et Emmanuel Macron), prennent toutes les décisions.
Ministres, députés, sénateurs, élus locaux, comptent pour rien.
Cette coterie de technocrates n’hésite pas à aller chercher le soutien de ceux qui les ont précédés (Philippe Bas au cas particulier), pour sauver leur peau, quitte à attenter à l’Etat de droit.
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Acte 2 : La mobilisation de Nicolas Dupont-Aignan à l’Assemblée nationale et sur les réseaux sociaux, l’emploi du terme « auto-amnistie » dans la presse, amèneront la commission des lois de l’Assemblée nationale à supprimer le texte issu de l’amendement du Sénat et à compléter l’article 121-3 du code pénal, afin de prévoir qu’il soit simplement tenu compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits.
Acte 3 : La commission mixte paritaire a finalement complété le code de la santé publique par un article
L. 3136-2 ainsi rédigé :
« L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
Cette version qui a été votée par le Parlement tout entier n’ajoute rien au droit positif et a, depuis, été validée par le Conseil constitutionnel.
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Il demeure de cet épisode, pour les sénateurs Les Républicains et LREM en particulier, la honte d’avoir recherché une auto-amnistie pour l’élite, au détriment du peuple des soignants, des ouvriers et plus généralement de toutes les victimes du Covid 19.
Ces parlementaires gagneraient à méditer, pour l’avenir, et pour une prochaine fois, cette phrase du général De Gaulle : « Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse en fin de compte, comme un bon placement politique. ».
L’inverse est aussi vrai.
Par Philippe Torre, maire de Berlancourt – avocat à la Cour d’appel de Paris – vice-président de Debout la France