Depuis plusieurs semaines, le journal Le Monde a soulevé des questions sanitaires importantes autour des implants médicaux.
DE QUOI S’AGIT-IL ?
Il s’agit de tous les dispositifs médicaux implantés dans le corps humain et très souvent de manière définitive : prothèses, stents, valves cardiaques, etc.
Il y a en réalité plus de 23 000 catégories dans la nomenclature médicale !
En France, des millions de patients en portent, mais on ne sait pas le nombre exact d’implants réalisés en France, ce qui montre déjà un problème de traçabilité.
Ces implants associés aux nouvelles technologies sont un formidable espoir pour la santé des patients : ce sont des bijoux technologiques qui sauvent des vies.
Mais il s’agit aussi d’un marché financier très juteux avec des industriels comme ALLERGAN , JOHNSON & JOHNSON , MEDTRONIC … ce qui laisse toujours craindre des dérives et la primauté des « gros sous » sur la santé des patients .
PROBLEMATIQUE :
Les dispositifs médicaux ne suivent pas la même réglementation que les médicaments. Ces derniers sont testés avec des essais thérapeutiques et contrôlés par l’ANSM : agence nationale de sécurité du médicament.
Véritable police sanitaire, l’ANSM garantit la sécurité des produits de santé, depuis les essais initiaux jusqu’à la surveillance après autorisation de mise sur le marché. En revanche, les implants ne sont pas soumis à des tests dans des laboratoires indépendants et n’ont pas besoin d’Autorisation de Mise sur le Marché ! Ces implants soignent mais sont considérés comme de simples marchandises.
Pour mettre un dispositif médical sur le marché , il suffit de :
– créer une société
– étiqueter le produit
– fournir une notice d’utilisation
-Assurer une certification CE par un organisme notifié.
Or ce dernier test ne nécessite qu’un dossier technique avec une auto-évaluation ! Dans 96 % des cas, l’organisme ne demande pas à voir le produit. C’est comme si on faisait soi-même le contrôle technique de la voiture et apportait le document à enregistrer sans que personne d’autre n’ait vérifié le véhicule !
C’est ainsi que les équipes de Cash Investigation ont soumis un produit bidon à l’ANSM : un genre de filet à clémentines que les journalistes ont fait passer pour une prothèse vaginale en créant une société bidon… Or l’ANSM a finalement donné son feu vert !
Les industriels n’ont donc aucune difficulté à imposer leurs produits, à les faire implanter dans le corps des patients. Ces entreprises disent prendre leur part du risque, mais ce sont en réalité les patients qui en subissent les conséquences car l’implant est impossible à explanter et les complications très difficiles à traiter. De plus, on ne peut pas bloquer facilement une mise sur le marché après son lancement, le droit européen l’en empêche.
PLUSIEURS EXEMPLES :
- La prothèse vaginale destinée aux femmes ayant une « descente d’organes » ou des problèmes d’incontinence : PROLIFT . Le fabriquant savait que des effets secondaires existaient car il avait fait des essais pendant 1 an. La prothèse pouvait se rétracter, bouger, et entrainer des douleurs atroces même pour marcher et avoir une vie normale. Hélas, des chirurgiens ont cautionné ces pratiques, flattés que leur égo soit valorisé par l’essai de nouvelles techniques : ils ont donc une fausse image des risques associés.
- Champion toutes catégories des implants à problème : les prothèses mammaires : en France, 400 000 femmes en portent, avec 12 000 incidents depuis 2010. Le triste scandale des prothèses PIP en 2010 a montré la gravité du problème : rupture, fuite, déplacement de la prothèse … mais c’était l’arbre qui cachait la forêt. Des cas de lymphomes anaplasiques à grandes cellules avec les prothèses texturées sont maintenant signalés : il s’agit hélas d’un cancer. 54 cas en France ont été avérés en 2018 avec l’implant texturé ALLERGAN.
En 2015 Agnès Buzin dirigeait l’INCA, l’institut national du cancer, et se voulait rassurante : il était urgent d’attendre. Mais le professeur Lantiéri a expliqué que l’aspect texturé entraînait un frottement et une inflammation chronique. Il faut donc interdire ces prothèses : « en 2015, c’est une erreur de ne pas les interdire, en 2018, il s’agit d’une faute ».
- La valve cardiaque TAVI : il s’agit d’un petit bijou de technologie fabriqué par EDWARDS ou MEDTRONIC qui permet de soigner la sténose aortique en changeant la valve sans intervention chirurgicale. Elle est donc indiquée pour les personnes âgées ou inopérables. Le coût est élevé, soit entre 14 000 et 18000 euros pièce, remboursé par la sécurité sociale. Il y eu 10 000 individus implantés en France et 350 à 400 000 dans le monde ; mais la durée de vie de la valve n’excèderait pas 8 ans …d’où la pose chez des personnes âgées ; on ne peut l’explanter mais on peut en remettre une dans l’ancienne à la manière des poupées russes.
- Mais le fabricant fait pression pour que cette valve soit implantée aussi sur des patients jeunes : il faudrait donc en faire la promotion coûte que coûte alors qu’elle n’est pas adaptée.
Des études comme « partner 3 » financées par le fabricant ou des campagnes de promotion avec les « bus du cœur » et le slogan « écoute ton cœur » ont cherché à faire de la publicité en utilisant la sensibilisation aux risques cardiovasculaires. Ce procédé commercial fonctionne puisque 3 à 4 Tavi par semaine sont posés à l’hôpital de Créteil.
- L’implant ESSURE : idée géniale pour les femmes qui ne voulaient pas la pilule : il s’agit d’une stérilisation « naturelle » par un petit implant en forme de ressort mis dans les trompes par voie naturelle. Il a été créé par une start-up CONCEPTUS puis commercialisé par le géant allemand BAYER. Ce ressort n’est pas du tout destiné à être explanté, la pose est donc définitive.
Les femmes ont souffert de maux divers et très douloureux, dus entre autre à une allergie au principal composant : le nickel. Suite à la mise en association des femmes victimes, défendues par l’avocat du MEDIATOR , Bayer a arrêté la commercialisation, sans reconnaitre un lien de cause à effet. Cet implant ne peut être extrait que par une chirurgie mutilante d’ablation des trompes et même de l’utérus ? Même après l’intervention, certaines femmes vivent un enfer car il reste toujours des micro-fragments dans le corps.
- Certaines prothèses de hanches, d’une filiale de Johnson & Johnson : prothèse métal sur métal ont continué à être commercialisées en dépit de document attestant de problèmes de santé dès 2005 ; fabriquées d’un alliage cobalt – chrome, elles peuvent émettre à l’usure des particules qui se retrouvent dans l’os et dans le sang et sont potentiellement cancérigènes. D’autres prothèses ont été défectueuses avec des cassures, luxations, descellement, infections.
Ces prothèses sont les implants les plus posés en France avec un marché à 500 millions d’euros qui ne cesse de croître à cause du vieillissement de la population.
Ce qui produit de grandes tentations pour les industriels qui interviennent même dans les salles d’opérations ! Comme il manque du personnel, un nouveau métier est né : les instrumentistes qui travaillent pour les industriels et viennent dans les blocs pour aider à poser …leurs prothèses. Une prothèse de hanche coutant 250 euros à la fabrication, vendue 2000 euros pris en charge par la sécurité sociale, il reste une grosse marge pour le fabricant qui peut se permettre de laisser des commissions aux chirurgiens fidèles… Heureusement tous ne cèdent pas à cette tentation !
QUE FAIRE ?
Il faut d’urgence revoir la législation européenne : une réglementation plus contraignante doit rentrer en vigueur en 2020, mais qui considère toujours ces dispositifs comme des marchandises et non des produits de santé, privilégiant l’intérêt des industriels sur celui des patients et qui permet toutes les dérives, les conflits d’intérêt voire la corruption
Il faut ensuite évaluer les risques en amont et avoir la volonté d’intervenir à temps en particulier pour l’ANSM. Il faut renforcer les tests et non les affaiblir. Or le gouvernement veut encore céder sous le poids des lobbies au nom du développement économique. Ainsi E. Philippe vient d’annoncer son intention de réduire les délais d’accès au marché.
Faisons donc attention au risque de la prise en main des politiques de santé par des industriels et des multinationales peu soucieuses de l’intérêt général. Par exemple, les difficultés financières que nos hôpitaux traversent en font des proies pour des multinationales qui leur équipent leur salle d’opération gratuitement.
Il faut enfin revoir les responsabilités de la Sécurité sociale et des industriels. Ce n’est pas aux Français de payer les erreurs et les risques pris par les multinationales. La première mesure consiste à renforcer la traçabilité organisée des implants par les établissements de soins car l’information n’est pas connue ou perdue. On estime à 40 % les données manquantes dans les dossiers.
L’intérêt du patient doit être le centre du système de soin, les citoyens devant être informés des risques avec une meilleure transparence.
Véronique Rogez
DN à la Santé de proximité