Dominique Jamet, vice-président de Debout la France depuis 2012 mais également journaliste depuis… toujours tient chaque semaine sur le site de Debout la France une chronique où il commente très librement l’actualité politique.
A la belle époque où l’on enseignait encore les humanités, au temps, lointain et révolu, où les professeurs tiraient de l’histoire des hommes illustres, à l’usage de leurs élèves, des leçons de conduite et des devoirs de morale, aucun collégien, fût-il le dernier des cancres, n’était censé ignorer le nom et les hauts faits de Cincinnatus et de Regulus.
Cincinnatus – saint Cinnatus ? – était cet homme d’Etat et général romain qui, à deux reprises, avait été tiré de sa retraite par ses concitoyens pour exercer une dictature temporaire. A deux reprises, il avait sauvé sa patrie en danger, à deux reprises, le péril passé, il avait quitté le pouvoir, comme convenu, pour retourner à ses champs et à sa charrue.
Le consul Regulus, quant à lui, avait été capturé par les Carthaginois. Il accepta d’aller à Rome y porter leurs propositions de paix, étant entendu, si celles-ci étaient repoussées, qu’il reviendrait se mettre à la disposition de ses geôliers. De fait, le Sénat refusa d’engager la moindre négociation. Ses amis, sa famille adjuraient Regulus de ne pas honorer une promesse faite sous la contrainte. Connaissant la mauvaise foi punique, il y avait toutes les chances que Carthage lui fît payer son échec au prix fort. Regulus se contenta de répondre aux uns et aux autres qu’il avait donné sa parole. Il retraversa la mer et dès son arrivée, comme il s’y attendait, fut mis à mort.
Nourri de culture classique et de l’exemple des grands hommes, le général de Gaulle connaissait le poids des mots et la force des serments. Le 25 avril 1969, avant-veille du referendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat, qu’il savait déjà perdu, il adressa ce dernier message aux Français : « Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions. » Le 27 avril, 52,41% des votants se prononcèrent pour le « non ». Le 28 avril au matin, un communiqué fut émis de Colombey-les-deux églises : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. »
« Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ? » Même en 2017, la Roche tarpéïenne est toujours aussi proche du Capitole. Au moment où il décochait ces deux flèches empoisonnées en direction de ses deux principaux rivaux, Alain Juppé, jadis condamné et Nicolas Sarkozy toujours poursuivi par la justice, François Fillon n’imaginait pas qu’elles lui reviendraient en boomerang, et pas davantage qu’en pleine euphorie, largement vainqueur de la primaire, leader indiscuté de la droite, virtuellement président de la République jusqu’en 2022, il serait à son tour rattrapé par son passé et sommé de répondre à la convocation de ses juges.
C’est alors, on le sait, qu’il commit la double faute qu’il n’a pas fini de payer, d’abord en déclarant que s’il était mis en examen il retirerait évidemment sa candidature, ensuite en déclarant que, bien que mis en examen, il maintenait naturellement celle-ci.
De leur côté, les concurrents de la primaire de la gauche, s’étaient publiquement engagés, à l’issue de la compétition loyale qui les opposait, à soutenir celui d’entre eux qui en sortirait vainqueur. Les choses n’ayant pas tourné comme il l’espérait, on a pu constater que le grand perdant du match, lui aussi ancien Premier ministre, ne se considérait pas comme lié par le contrat qu’il avait signé, dès lors que ce contrat ne lui profitait pas. Or,si nul n’est obligé de prendre des engagements, tout engagement nous oblige.
Les insensés ! On pourrait se contenter de rire sans indulgence et sans retenue du spectacle que donnent des gens qui scient la branche sur laquelle ils sont assis, et les regarder qui tombent dans le décri universel. Le problème, malheureusement, n’est pas seulement le leur. Ce n’est pas seulement leur personne, leur loyauté, leur moralité qui sortent en lambeaux de tels comportements et de tels reniements. Arroseurs arrosés, fossoyeurs enterrés, ils discréditent et salissent dans l’esprit de tous les Français, les mœurs politiques, la classe politique, la confiance dans la démocratie, la République elle-même.
Parole, paroles… Les politiques, de tout temps, se sont toujours répartis entre deux espèces. Il y a ceux qui n’ont qu’une parole, et s’y tiennent. Il y a ceux qui en ont, en gros, en détail et en solde,pour tous les publics, pour toutes les saisons, pour toutes les occasions, et les sèment à tout vent, qui les emporte.